Pages

Affichage des articles dont le libellé est Russie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Russie. Afficher tous les articles

jeudi 4 février 2016

Fiodor Dostoievsky : Le rêve d’un homme ridicule




Le rêve d’un homme ridicule est une toute petite nouvelle, écrite tardivement, que les inconditionnels de Dostoievsky adorent parce qu’elle contient tous les thèmes chers à l’écrivain développés dans ces grands romans. J’ai lu et étudié Dostoievsky quant j’étais à l’université et je me souviens de mon admiration pour ses oeuvres et pour l’Idiot en particulier. Lointains souvenirs que j’ai ranimés dernièrement par la lecture de Le double, Les nuits blanches et Souvenirs de la maison des morts, dernier lu que j’ai beaucoup apprécié. Et pourtant je n’ai pas aimé Le Rêve de l’homme ridicule.

Le récit

Fiodor Dostoievsky : Tombe du cimetière à Saint Pétersbourg

Le héros de ce livre a toujours été ridicule. Dès l’enfance, il a suscité les moqueries de ses semblables, à tel point que le voilà, adulte, dégoûté de la vie car « tout lui est égal ». Il décide de se suicider et achète un pistolet qu’il tient en réserve pour le jour J.  Enfin, celui-ci arrive. L’homme ridicule rentre chez lui pour mettre son projet en exécution. En chemin, il rencontre une petite fille pauvre et désespérée, qui lui demande de l’aide pour sa mère malade. Notre héros la chasse et rentre chez lui. Mais au moment de se tuer, le souvenir de la fillette revient l’obséder, le remplit de honte et de pitié. Le jeune homme s’endort et fait un rêve. Il arrive sur une planète semblable à la Terre qui semble être le paradis, dans une société ou tout le monde s’aime et connaît le bonheur. Hélas! le héros va introduire le mal dans cet Eden et le corrompre. Quand il le quitte, le malheur, la jalousie, la violence règnent dans ce paradis perdu. Mais l’homme ridicule a découvert la Vérité et va se mettre à prêcher et la révéler à ses semblables pour que notre monde devienne meilleur.

Une belle écriture

 D’abord, notons-le, Fiodor Dostoievsky, c’est toujours une belle écriture à laquelle il est difficile de résister. Les quelques pages, par exemple, qui racontent la rencontre de l’homme ridicule avec la petite fille, dans cette nuit « lugubre » où tout ce qui l’entoure paraît animé d’une grande hostilité à l’encontre du personnage, sont celles d’un grand écrivain et elles fascinent.

Il avait plu toute la journée, et c'était une pluie froide, et la plus lugubre, une pluie, même, qui était comme féroce, je me souviens de ça, pleine d'une hostilité flagrante envers les gens, et là, d'un coup, vers onze heures du soir, la pluie s'est arrêtée, et une humidité terrible a commencé, c'était encore plus humide et plus froid que pendant la pluie, et une espèce de vapeur remontait de tout ça, de chaque pierre dans la rue et de chaque ruelle, si l'on plongeait ses yeux dedans, au plus profond, le plus loin possible, depuis la rue. D'un coup, j'ai eu l'idée que si le gaz s'était éteint partout ç'aurait été plus gai, que le gaz rendait le coeur plus triste, parce qu'il éclairait tout. (…)
Quand j'ai eu cette idée sur le gaz, dans la rue, j'ai regardé le ciel. Le ciel était terriblement obscur, mais on pouvait nettement distinguer les nuages, avec, entre eux, des taches noires insondables. Tout à coup, dans une de ces taches noires, j'ai remarqué une toute petite étoile, et je me suis mis à la regarder fixement. C'était parce que cette toute petite étoile m'avait donné une idée : j'ai décidé de me tuer cette nuit-là.

Une réflexion Philosophique

Ce récit nous entraîne avec Dostoievsky vers une réflexion philosophique qui s’empare du personnage au moment où il sort son revolver pour mettre fin à ses jours.

La détestation de soi attisée par les moqueries de son entourage l’a conduit à considérer que tout était égal. Alors pourquoi la pitié et la honte qu’il a ressenties en refusant d’aider la fillette le détournent-il du suicide? Tout ne lui serait donc pas égal!  C’est une première constatation.

D’autre part, le monde existe-t-il en dehors de la conscience?
S’il se tue « le monde entier, à peine ma conscience sera éteinte, s’éteindra tout de suite comme un spectre, un attribut de ma seule conscience… ». Le monde n’existe pas en dehors de lui. Ce sentiment de honte et de pitié disparaîtra donc avec lui. Alors pourquoi s’en soucier? Mais le fait est qu’il s’en soucie. C’est la seconde constatation.

C’est donc un sentiment de pitié ressenti sous la forme d’une douleur qui peut le ramener à la conscience de sa propre existence - tout ne m’est pas égal-  c’est la honte éprouvée pour un acte méprisable qui fait que le monde redevient signifiant - je ne peux mourir sans avoir résolu ce dilemme-.

Ainsi l’on peut déjà entrevoir ce que sera la conclusion de la nouvelle. Ne serait-ce pas l’amour d’autrui qui donnerait du sens à la vie? C’est ce que son rêve va lui permettre de comprendre : seul l’amour peut sauver l’humanité. Ce message, il est vrai qu’il se retrouve dans toute l’oeuvre de Dostoievsky. L’homme ridicule deviendra donc prêcheur pour porter la parole du Christ : « aimez-vous les uns, les autres » « Aime ton prochain comme toi même ». S’il est toujours ridicule, c’est que l’humanité n’est pas prête à recevoir ce message.

  Une réflexion métaphysique

Mais c’est avec l’utopie que cela s’est gâché pour moi. Avant d’en arriver au message « aime ton prochain comme toi-même » l’écrivain fait revivre dans son Utopie, le mythe de l’Eden, celui de la bonté originelle de l’homme liée à son ignorance primitive qui le détourne du mal.
" Oh! tout de suite, dès que je vis leur visage, je compris tout, oui tout! C’était une terre qui n’était pas encore souillée par le péché originel, n’y vivaient que des hommes qui n’avaient pas encore péché, ils vivaient dans un paradis semblable à celui dans lesquels avaient vécu, d’après toutes les légendes de l’humanité, nos ancêtres pécheurs, avec cette différence qu’ici, la terre était partout  un seul et même paradis! "
Dans cette utopie, effectivement les hommes ne connaissent pas « cette sensualité cruelle qui touche presque tout le monde sur notre terre »  mais  « il y avait de l’amour et des enfants naissaient ». Voilà qui est vite expédié! On se demande bien si les femmes y sont pour quelque chose.

Comme dans la Bible, c’est la découverte de la sensualité qui met fin au bonheur des humains. Il  est à noter que cette fois-ci ce n’est pas une femme qui en responsable mais un homme. De plus, l’accès à la connaissance et à la science, entraîne le malheur. Si l’on ne peut qu'être d’accord avec le message d’amour délivré par la nouvelle, par contre cette seconde partie qui reprend le thème de la chute liée au péché, souillure que l’homme doit effacer pour atteindre la rédemption ne me touche pas du tout. Et pourtant elle est au centre de l’oeuvre de l’écrivain marqué par le christianisme. Je ne peux adhérer à l'idée de la bonté originelle de l'homme, je ne peux penser que la connaissance lui est néfaste. Je vois la science comme un progrès, et non comme un obstacle au bonheur. Et dans tous les cas, je pense que l'être humain a le droit d'accéder à la connaissance même si celle-ci introduit doute et tourment. Je suis donc à des années lumière des croyances métaphysiques de Dostoievsky.

L'Idiot

Le prince Muichkine dans l'Idiot : Gérard Philippe

  Alors pourquoi ai-je tant aimé L'Idiot? C'est que dans les grands romans de Dostoievsky, les personnages sont des êtres de chair et d'os.  Le personnage de l'idiot, le prince Muichkine, incapable de faire le mal, à l'égal du Christ, est le frère de l'homme ridicule. Il représente la bonté originelle mais que peut-il, face à la société corrompue, sinon chercher à rendre ceux qui l'entourent meilleurs? C'est un personnage complexe, attachant avec ses souffrances, ses peurs et ses doutes, c'est un être vivant et non une idée abstraite. Tout le contraire du personnage de la nouvelle. S'il est le Christ, il est plus Homme que Dieu. On se sent proche de lui et c'est ce que j'aime.  De plus, le  roman est abordable par tous ses aspects, métaphysique, réaliste, politique et social, et l'écrivain ne s'en tient pas qu'à un seul thème. Il foisonne d'idées. Et c’est pourquoi, pour en revenir à la nouvelle Le rêve de l'homme ridicule, je n’ai pas aimé cette seconde partie trop démonstrative malgré les qualités littéraires évidentes.


mercredi 20 janvier 2016

Fiodor Dostoïevsky : Souvenirs de la maison des morts


La condamnation au bagne


Fiodor Dostoïevsky est arrêté en Avril 1849, accusé d’avoir comploté contre le tsar, et conduit à la forteresse Pierre et Paul. Il fait parti d’un groupe de jeunes gens aux idées progressistes, réunis autour de la figure de Petravesky, mais plus bavards que révolutionnaires. Il n’était coupable, en fait, que d’avoir conservé chez lui un écrit interdit et une presse à imprimer pour éditer des textes anti-gouvernementaux.. Il est condamné à mort avec ses compagnons en décembre 1849. Avec une perversité machiavélique, le tsar imagine alors une mise en scène macabre : le 22 Décembre, les condamnés sont alignés, la tête encapuchonnée, face au peloton d’exécution. Au dernier moment le tsar commue la peine de mort en quatre ans de  bagne.
 Bien longtemps après, Dostoievsky écrira dans L’idiot : Peut-être y-a-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation à mort, qu’on a laissé souffrir cette torture  et puis à qui on a dit : «  Va, tu es gracié. ». Cet homme là pourrait dire ce qu’il a éprouvé. C’est de cette douleur et de cette horreur que le Christ a parlé. Non, on n’a pas le droit d’agir ainsi avec un être humain. »
Le jour de Noël 1849, Dostoievsky part pour la Sibérie. Il y passera neuf ans, quatre au bagne, cinq dans l’armée comme simple soldat. Ce sont ces quatre années que racontent Les souvenirs de la maison morte traduit en français par Souvenirs de la maison des morts. 

Le bagne


L’écrivain commence la rédaction de ses souvenirs en 1855 en Sibérie. Pour des raisons de censure, le narrateur du récit est un personnage fictif, condamné pour un meurtre passionnel.  Mais c’est bien lui, Fiodor Dostoïevsky qui décrit le bagne et ses terribles conditions de vie, lui qui observe les bagnards autour de lui, la plupart du temps la lie de l’humanité, lui qui analyse ce qu’est la justice du tsar, qui s’interroge sur le mal et le bien, sur l’existence de Dieu.  Pendant ces neufs ans d’exil, se forge sa personnalité complexe, maladive, torturée, pleine de contradictions, déchiré entre Dieu et le Diable, qui fera de lui l’auteur que nous connaissons, le créateur des Frères Karamazov, de l’Idiot, de Crime et châtiment, le double…
Dostoievsky décrit la vie quotidienne des forçats, le travail qu’ils doivent accomplir, la hiérarchie des punitions corporelles, les brimades qu’ils subissent de la part de leurs chefs, l’organisation interne et clandestine des bagnards qui échappe au contrôle des gardiens. Malgré la dureté de cette vie, ce dont Dostoievsky a le plus souffert, plus encore que de l’enfermement et l’exil, c’est de n’avoir jamais été admis par ses compagnons d’infortune à cause de son origine. Noble et intellectuel, il était mis au ban de la société de plus misérables que lui.

 Des portraits terrifiants

Souvenirs de la maison des morts n’est pas un récit d’aventures, haut en couleurs, qui ménage des suspenses, mais un témoignage précis, à hauteur d’homme, de la vie quotidienne, de sa monotonie et de la routine. S’il y a de grands moments de fulgurance, ils sont dus au style et au talent de l’écrivain qui dresse des portraits inoubliables de ces hommes endurcis dans le crime : Sirotkine, «un être énigmatique à tous les égards » Gazine qui « était une horrible créature. Il produisait sur tout le monde une impression effrayante torturante. » ou encore Orlov « qui assassinait froidement jeunes et vieux » «  doué d’un force de volonté extraordinaire, il avait l’orgueil et la conscience de cette force. » Il y a  aussi le noble  Aristov « exemple le plus repoussant de la bassesse et de l’avilissement ». Tous ces personnages , on le comprend, nourriront l’oeuvre ultérieure de l’écrivain.
Mais au milieu de ces criminels, apparaissent parfois des personnages attachants comme Nourra, bon et naïf, ou Ali dont la nature franche et généreuse attire l’écrivain qui entreprend de lui apprendre à lire avec succès.

 Des réflexions  sociales et métaphysiques

Ces observations amènent l’écrivain à s’interroger sur la justice et le bien fondé du châtiment. Pour lui, même le plus réprouvé des hommes est à l’image de Dieu. On ne peut le sauver en l’humiliant. La rédemption ne peut venir que d’un exemple qui élève le condamné, qui réveille son sens moral. Et ceci d’autant plus que ces bagnards sont souvent des hommes du peuple qui n’ont connu que la misère et la violence, ce qui explique leur dégradation morale. Le châtiment, la rédemption et l'humiliation du peuple, on retrouve ici des thèmes qui deviendront récurrents dans l’oeuvre de l’écrivain.

Mon dieu! un traitement humain peut relever jusqu’à ceux chez qui l’image de la divinité semble le plus obscurcie! C’est précisément avec ces « malheureux » qu’il faut se comporter le plus humainement possible pour leur salut et pour leur joie. J’ai rencontré des chefs d’un grand coeur et j’ai vu l’effet qu’ils produisent sur les humiliés. Avec quelques mots affables, ils ressuscitaient moralement leurs hommes.

Dostoievsky s’insurge donc contre les châtiments corporels, il démontre que loin d’éduquer les hommes, ils les endurcissent dans le mal.
« Le droit à la punition corporelle qu’exerce un homme sur un autre est une des plaies de la société; c’est un moyen sûr d’étouffer en elle tout germe de civisme, de provoquer  sa décomposition »

Le travail aussi permet au bagnard  de donner un sens à sa vie mais un travail utile, auquel il peut s’intéresser, non des corvées absurdes et dénuée de sens.
« mais qu’on le contraigne, par exemple, à transvaser de l’eau d’une tine dans une autre, et vice versa, à  concasser du sable ou à transporter un tas de terre d’un endroit à  un autre pour lui ordonner ensuite la réciproque, je suis persuadé qu’au bout de quelques jours le détenu s’étranglera ou commettra mille crimes comportant la peine de mort plutôt que de vivre dans un tel abaissement et de tels tourments. Il va de soi qu’un châtiment semblable serait plutôt une torture, une vengeance atroce qu’une correction; il serait absurde, car il n’atteindrait aucun but sensé. »

 La complexité du personnage

On voit que Dostoïevsky a son idée sur la justice tsariste; il critique les méthodes, les abus des chefs, le dysfonctionnement.  (avec beaucoup de prudence et de mesure). Mais pourtant il finira par adhérer à sa condamnation, à la juger bienfaisante, porteuse pour lui aussi de rédemption.
Seul avec mon âme, je considérais ma vie antérieure, je l'analysais jusque dans les dans ses plus infimes détails, je me jugeais sévèrement, sans pitié. A certains moments même, je bénissais le sort qui m'avait octroyé cette solitude sans laquelle je n'aurais pu me juger ainsi ni faire ce grave retour sur mon passé. ».
Retourné en Russie, il jugera sévèrement les idées sociales qui étaient les siennes et soutiendra le pouvoir du tsar. Claude Roy écrira à ce propos, comparant le pouvoir tsariste et soviétique :  «La Russie d'hier et la Russie moderne sont exemplaires dans la science du "châtiment" sur deux points essentiels. Elles ont poussé plus avant peut-être qu'aucun peuple l'art de donner aux tortionnaires cette paix de l'esprit que procure la bonne conscience. Elles ont su simultanément contraindre un nombre important de leurs victimes, non seulement à subir sans révolte les épreuves infligées, mais à donner à leurs tourmenteurs un total acquiescement.»

Ce roman, très riche, témoigne de l’immense talent de Dostievsky, de la profondeur de ses analyses psychologiques. Il soulève des questions passionnantes sur l’être humain, sa nature profonde, sur le mal et le bien et la justice, sur la liberté, la force de l’habitude, le courage et la lâcheté... Il révèle les questions métaphysiques qui agitent Dostoïevsky. Bref, il contient en germe tout ce qui sera au centre de son oeuvre et permet de mieux comprendre l’homme derrière l’écrivain.

Extrait 1: L’arrivée dans la maison des morts :

Notre maison de force se trouvait à l’extrémité de la citadelle, derrière le rempart. Si l’on regarde par les fentes de la palissade, espérant voir quelque chose, – on n’aperçoit qu’un petit coin de ciel et un haut rempart de terre, couvert des grandes herbes de la steppe. Nuit et jour, des sentinelles s’y promènent en long et en large; on se dit alors que des années entières s’écouleront et que l’on verra, par la même fente de palissade, toujours le même rempart, toujours les mêmes sentinelles et le même petit coin de ciel, non pas de celui qui se trouve au-dessus de la prison, mais d’un autre ciel, lointain et libre. Représentez-vous une grande cour, longue de deux cents pas et large de cent cinquante, enceinte d’une palissade hexagonale irrégulière, formée de pieux étançonnés et profondément enfoncés en terre: voilà l’enceinte extérieure de la maison de force. D’un côté de la palissade est construite une grande porte, solide et toujours fermée, que gardent constamment des factionnaires, et qui ne s’ouvre que quand les condamnés vont au travail. Derrière cette porte se trouvaient la lumière, la liberté ; là vivaient des gens libres. En deçà de la palissade on se représentait ce monde merveilleux, fantastique comme un conte de fées: il n’en était pas de même du nôtre, – tout particulier, car il ne ressemblait à rien; il avait ses mœurs, son costume, ses lois spéciales : c’était une maison morte-vivante, une vie sans analogue et des hommes à part. C’est ce coin que j’entreprends de décrire.

Extrait 2 : L'inhumain dans l'humain

Cette réflexion sur la tyrannie est de tous les temps. Je la lis en pensant aux nazis, aux gardiens des camps de concentration. Elle me paraît terriblement vraie. Elle explique qu’un homme « normal » - un être humain semblable aux autres- puisse être amené à des actes monstrueux. C’est la conclusion du livre de Gita Sereny, Au fond des ténèbres, la thèse de Robert Merle dans Un métier de Seigneur ; La démonstration de Jonathan Littel dans Les bienveillantes.

Celui qui a, même une fois, exercé un pouvoir illimité sur le corps, l’âme de son semblable, sur le corps de son frère selon le loi du Christ, celui qui a joui d’avilir au suprême degré un autre être fait à l’image de Dieu, celui-là devient incapable de maîtriser ses sensations. La tyrannie est une habitude douée d’extension, elle peut se développer, devenir à la longue une maladie. Je soutiens que le meilleur des hommes peut, grâce à l’habitude devenir une bête féroce. Le sang et la puissance enivrent, engendrent la brutalité et la perversion, si bien que l’âme et l’esprit deviennent accessibles aux jouissances les plus anormales.

vendredi 1 janvier 2016

Bonne année 2016


Musée Russe de Saint Pétersbourg : Boris Koustediev Le carnaval détail 1916
Musée Russe de Saint Pétersbourg : Boris Koustediev (détail) 1916


Je vous souhaite à tous une belle année 2016 

Lumineuse
Une année toute neuve
Sur la neige

             de Ito Shou source


Igor Grabar : 1905


Rosée du matin
les Fleurs de l’année
douceur retrouvée


Et pour vous donner envie de voyager voici une sélection de peintures du musée russe de Saint Péterbourg en remontant dans le temps, juste de quoi vous faire rêver!


Ilya Repine : Adieu de la recrue(1879)
Nicolas Gué : Léon Tolstoï (1884)

Alexis Savrasov : Hiver


Saint Petersbourg Viktor Borisov-Musatov Printemps 1901 Musée Russe
Viktor Borisov-Musatov Printemps 1901

Saint Pétersbourg Michail Nestorov La Sainte Russie details. 1905
Michail Nestorov :  La Sainte Russie détails. 1905

Natalia Goncharova En cueillant des fruits.1908

le monastère de NicholasRoerich.1913 Saint Pétersbourg Musée russe
le monastère de Nicholas Roerich 1913
Musée russe de Saint Pétersbourg L'île sainte de Nicholas Roerich.
L'île sainte de Nicholas Roerich.

Saint Péersbourg Les trois joies de Nicholas Roerich musée russe
Les trois joies de Nicholas Roerich

Maliavine Philippe Paysanne dansant 1913 Saint Pétersbourg Musée Russe
Philippe Maliavine : Paysanne dansant 1913

Kasimir Malevitch buste de femme 1932 Saint Pétersbourg musée Russe
Casimir Malevitch : buste de femme 1932

Saint Pétersbourg Musée Russe : Alexander Deinika Kholkozienne sur une bicyclette 1932.
Alexander Deinika Kholkozienne sur une bicyclette 1932.
Saint Petersbourg  Musée Russe Alexander Deinika : Parisienne 1935
Alexandre Deinika : Parisienne 1935

Alexandre Sitnikov Taureau rouge. 1979

Alexandre Soudoukov - Queue 1985 Saint Péterbourg Musée russe
Alexandre Soudokov - Queue 1985

lundi 26 octobre 2015

Léon Tolstoï : La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts



Dans les trois nouvelles de ce recueil du livre de poche, Tolstoï explore le thème de l’homme face à la mort. Qu’il s’agisse de La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts, Tolstoï analyse les sentiments d’angoisse, de refus, de colère ou d’acceptation de l’individu saisi par le vertige de la mort annoncée,  alternances de lucidité ou de déni, d’honnêteté ou de mensonge quant  au bilan que le mourant fait de sa vie.
Tolstoï a été touché par la mort dans son plus jeune âge puisque, orphelin dès l’enfance, il n’a pu connaître sa mère et son père; puis en 1850 son frère Dimitri disparaît mais c’est la mort de son frère Nicolas dont il est très proche, atteint de tuberculose, qui le touche le plus. Pourtant il ne s’agit encore que d’une appréhension de la mort par l’extérieur, d’une donnée intellectuelle et non de vécu.
L’expérience par l’intérieur, dans sa chair, de la mort comme une « horreur blanche et rouge et carrée »,  il l’expérimente au cours d’un voyage et d’une nuit passée dans l’auberge Arzamas. Cette sensation de mort imminente, cette prise de conscience de sa vulnérabilité, sa révolte vécue comme un cri, son désir de vivre répondant à la terreur qui l’envahit et le possède entièrement, il ne l’oubliera jamais.

La Mort d’Ivan Illitch (1886)

Ivan Kramskoï : Les derniers chants de Nekrassov Galerie Tretiakov
C’est ce qu’il transcrit dans La Mort d’Ivan Illitch, ce personnage à qui il ressemble et dont il raconte la mort avec une sensibilité d’écorché, un justesse à fleur de peau, une angoisse horrible qui se transmet au lecteur … La description réaliste de l’évolution de la maladie, de la déchéance du corps est terrifiante. L’analyse psychologique est d’une étonnante finesse jusque dans les plus petits détails. Et que dire de cette prose, dense, puissante qui vous happe, à laquelle vous ne pouvez plus échapper, qui vous retourne, vous bouleverse..
L’on peut ajouter à cette terrible expérience existentielle, la vision satirique d’une société uniquement guidée par l’attrait de l’argent, des honneurs et de la réussite, qui oublie les valeurs spirituelles, l’amitié, l’amour, une société en manque d’idéaux et où la mort d’un collègue est reçue avant tout comme une promesse de promotion à la place qu’il occupait.
Apparaît aussi à travers le portrait de Praskovia Federovna, l’épouse d’Ivan Illitch, la misogynie de Tolstoï et son horreur du mariage.
La Mort d’Ivan Ilitch est une nouvelle qui est à la fois un grand moment littéraire et un grand moment de vérité. Il vous oblige à regarder l'idée de la mort en face sans plus vous voiler la face. Je l’ai reçu comme un coup de poing. Rares sont les écrivains qui ont ce pouvoir d’impliquer si totalement le lecteur, de faire vivre avec autant d’acuité une expérience aussi universelle, la mort, que par définition l’on ne peut habituellement partager avec autrui. Quel écrivain! Pendant un certain temps, tout paraît fade à côté de lui!

Maître et serviteur(1895)

VG Perov : la denrière taverne avec la sortie du village Galerie Titrakov Moscou
VG Pérov : la dernière Taverne avant la sortie du village  Galerie Tetriakov

Maître et serviteur raconte l’histoire de Brekhounov, un marchand, âpre au gain, qui n’hésite pas, pour acheter les forêts qu’il convoite, à se déplacer en traîneau en plein hiver, pendant une tempête de neige. Bloqués au fond d’un ornière, par un froid intense, les deux hommes voient arriver leur mort prochaine. Seul le serviteur, Nikita, un homme simple, proche de la nature, l’envisage avec sérénité. Tolstoï pense, en effet, que la civilisation entraînant la cupidité, l’égoïsme, la recherche des biens matériels, détourne des valeurs essentielles. Mais la mort permet au maître de se confronter à la vérité en faisant le bilan de sa vie et de se dépouiller de son égoïsme.

Trois Morts (1850)

Dans Trois Morts, une mourante part en voyage vers un pays chaud pour échapper à la mort. Si son entourage sait qu’elle va mourir, elle se ment à elle-même, à la recherche du moindre espoir qui la sauvera. La religion est inutile et ne lui procure aucun soulagement réel. La deuxième mort est celle du postillon, l’oncle Fédor, qui accepte sa mort, en homme simple et proche de la nature. Le troisième est un arbre qui meurt en « beauté parce qu’il ne joue pas la comédie, ne craint, ni ne regrette rien ».  La nouvelle écrite en 1850, trente ans avant La mort d’Ivan Illitch, présente les mêmes thèmes mais d'une manière plus superficielle, moins aboutie et plus démonstrative; je me suis sentie moins concernée.

vendredi 23 octobre 2015

Moscou : Zenaïda Serebriakova : peintre franco-russe Galerie Tretiakov

Zenaida Serebriakova – Le déjeuner des enfants – 1914 – Galerie Tretiakov, Moscou

En rendant visite à l’Or, dans son blog, quand je suis revenue de Russie, je suis tombée nez à nez avec le tableau de Zenaïda Serebriakova : Le déjeuner des enfants que je venais juste de découvrir la galerie Tetriakov à Moscou.
Voilà le  texte qu’il a inspiré à L’Or :
Rien ne symbolise plus l’automne que ce tableau là. Dès que je l’ai vu, pour moi, il était l’image même de septembre et de la rentrée scolaire. Les repas se prennent à nouveau à l’intérieur, les enfants sont à table, ils dégustent une chaleureuse soupe d’automne, chaude et bienfaisante pour les petits bidons. Demain ils reprendront l’habitude de se lever plus tôt, d’enfiler leurs chaussures et de mettre leurs lourds cartables sur le dos. » lire la suite ICI  

Moscou Galerie Tetriakov : musée d'art russe détail du fronton
Galerie Tetriakov : détail
Moscou : La place des trois tableaux de Zinaïde Serebriakova  sur le mur de la galerie Tetraikov
La place des trois tableaux de Srebriakova sur le mur de la galerie Tetriakov

Quant à moi, ce qui m’a touchée dans cette oeuvre comme dans les deux autres tableaux qui sont exposés à Tetriakov, c’est la beauté des personnages et la force qui émane d’eux, une quiétude, une plénitude qui renvoient à une image du bonheur, de la joie de vivre. Ainsi, ces deux enfants aux yeux noirs qui  fixent le peintre -leur mère- avec sérieux, tandis que l’aîné plus rêveur contemple son verre comme s’il contenait un secret, ainsi ce cadre rassurant, paisible, celui de la table familiale, autour de la soupe du soir servie par une main que j’imagine être celle de la grand mère; ce décor délicat, cette vaisselle à la fois raffinée et simple, ces couleurs pastels rehaussés par le jaune plus vif du broc à eau; tout concourt à nous donner une image de sérénité.


Zenaïda Serebriakova : autoportrait  Galerie Tretiakov, Moscou
Et il en est de même de son autoportrait, cette jeune femme à sa toilette, si gracieuse avec sa longue chevelure et ses yeux noirs, les mêmes que que l’on retrouve chez les deux enfants tournés vers nous dans Le déjeuner, avec cette lueur malicieuse qui luit dans ses yeux, ce léger sourire mutin,  image de la beauté et de la séduction mais naturelle et saine.

peintre franco-russe Zenaïda Serebriakova :  Les lavandières tableau exposé à la Galerie Tretiakov, Moscou
Zenaïda Serebriakova :  Les lavandières Galerie Tretiakov, Moscou
Quant à Les lavandières, Serebriakova ne cherche pas à montrer un métier pénible et des femmes du peuple pauvres, usées par le travail. Au contraire, elles peint des jeunes femmes robustes, aux vêtements vivement colorés et elle les magnifie en les prenant en contre-plongée de manière à ce qu’elles apparaissent, souveraines, se détachant sur le ciel bleu. C’est une peinture résolument optimiste,  qui charme et procure du bonheur. On parle à son propos de peinture réaliste romantique!

Peintre franco-russe Zenaïda Serebriakova : autoportrait exposé à la Galerie Tretiakov, Moscou (détail)
Zenaïda Serebriakova : autoportrait  Galerie Tretiakov, Moscou (détail)

Zinaïda Ievguenina Serebriokov est une peintre franco-russe; elle est née en Ukraine en 1884 ; sa mère était d’origine française, et sa famille les Lanseray compte des artistes connus en France comme en Russie. Nicolas Lanceray, son grand père, est un des architectes de Saint Péterbourg, son père Ievgueni Serebriakova est un sculpteur célèbre.
 Elle perd toute sa fortune avec la révolution de 1917 et sa propriété Neskoutchnié (Sans Soucis) lui est confisquée. Son mari Boris est emprisonné par les Bolchéviques et meurt du typhus en 1919. Elle  doit élever toute seule ses quatre enfants. En 1924, elle se rend à Paris pour une commande de peintures murales mais elle ne peut rentrer en Russie et est séparée de ses enfants et de sa mère. Plus tard, elle parviendra à faire venir deux de ses enfants dont sa fille cadette Ekaterina et son fils aîné, Alexandre, peintre reconnu et décorateur d'intérieur qui l’aidera à subvenir au besoin de la famille restée en Russie ; elle  ne reverra plus les autres Tatiana et Evguiéni pendant 36 ans, ce qui sera pour elle un tourment constant. Le temps du bonheur est passé. Sa peinture deviendra plus grave mais c'est toujours avec respect qu'elle peint ses modèles et les met en valeur.
A Paris, Zinaïda Serebriokova refuse l’influence de l’avant-garde française et continue à peindre d’une manière classique comme le feront les peintres soviétiques à la même époque. Aussi, même si beaucoup admire ses oeuvres, ses tableaux ne se vendent pas très bien. Pourtant la période française de Zinaïda Serebriakova est très riche. Elle voyage au Maroc et en Afrique, est inspirée par les femmes et des hommes de l’Atlas, par les paysages aux couleurs ardentes; elle peindra aussi un cycle de tableaux consacrés à la Bretagne et aux marins. La France influence donc son oeuvre. Elle obtient la nationalité française en 1947. Elle meurt  Paris en 1967. 

Zenaïda Serebriakova Marocain en bleu Marrakech 1932 (collection privée?)
Une rétrospective de ses oeuvres a lieu en 1960 à Moscou, Léningrad et Kiev. Elle y est reconnue comme un grand peintre. À partir de 1966, ses tableaux sont de plus en plus exposés en Union Soviétique, surtout dans les grandes villes russes. Mais en France où elle a passé tant d’années et exercé son art si longtemps, on la connaît fort peu alors qu’elle appartient à la fois au patrimoine russe et français. Beaucoup de ses tableaux sont dans des collections privées semble-t-il. Je ne crois pas qu’il y en ait dans les musées français. Pas de rétrospective en vue et l’on ne peut que le regretter!

dimanche 18 octobre 2015

Dostoievski /Visconti : Les nuits blanches ET Le peintre Vassili Sourikov



Les nuits blanches de Dostoievski est une longue nouvelle qui se déroule à Saint Pétersbourg pendant quatre nuits et une matinée, dans une atmosphère que la lumière des nuits blanches rend irréelle. Un jeune homme solitaire se promène dans les rues et sur les ponts de la ville quand il rencontre une jeune fille en pleurs.  Celle-ci lui raconte qu'elle est désespérée parce que son fiancé ne vient pas au rendez-vous que tous deux s'étaient fixés un an auparavant. Le jeune homme accompagne la jeune fille pendant ces quatre nuits et en tombe amoureux ; mais celle-ci oubliera-t-elle celui qu'elle aime?

 La nouvelle commence comme un conte et l'on peut penser que ces rencontres sous une lumière  magique se termineront romantiquement. Or, Dostoievski est tout sauf romantique : C’est un nuit de conte, ami lecteur, une de ces nuits qui ne peuvent survenir que dans notre jeunesse. Le ciel était si étoilé, le ciel était si clair que lorsque vous leviez les yeux sur lui, vous ne pouviez, sans même le vouloir, que vous demander : est-il possible que sous un ciel pareil, vivent toutes sortes de gens méchants et capricieux? Cela aussi c’est une question bien jeune, ami lecteur, mais puisse Dieu vous l’inspirer le plus souvent possible.

Cette histoire est, en effet,  celle de la désillusion et de la solitude. Elle est racontée par un narrateur âgé qui s'étonne de la jeunesse et de la naïveté de ces personnages. Et c'est évident pour lui, ils apprendront bien vite que la vie n'est pas ce qu'ils croient et que le mal existe! Comme Dostoievski lui même l'apprendra auprès des bagnards quand il sera déporté en Sibérie en 1849.
La jeune fille, Nastenka,  innocente, naïve, qui vit seule avec sa grand mère aveugle, ne connaît pas le monde. Elle rêve qu'elle se marie avec l'Empereur de Chine car le rêve est sa seule liberté. Lorsqu'elle tombe amoureuse, c'est du seul homme qu'elle a rencontré, le locataire de sa grand mère.  Elle s'est fiancée avec lui en secret et espère qu'il reviendra la chercher dans un an comme il l'a promis. On peut dire que cet homme est le seul moyen pour elle d'échapper à un univers borné qui ressemble bien à une prison. Mais est-elle victime d'une illusion? En tout cas même si elle naïve, elle sait bien jouer la coquette et sa conduite envers le jeune homme montre que les femmes ne sont qu'inconstance et cruauté.
Quant au jeune homme si solitaire, si timide, enfermé dans ses rêves, il ne peut participer au monde extérieur et ne peut vivre que d'illusions. Il parle bien -  évidemment l'écrivain lui prête sa voix - et c'est "un conteur magnifique" comme le lui dit la jeune fille. Il se berce de mots et de beaux sentiments. J'avoue qu'il m'a profondément agacée avec ses larmoiements sur lui-même même si ceux-ci sont incontestablement littéraires c'est à dire bien écrits!. La solitude dont il désespère, il ne cesse pourtant de la cultiver, il s'en pare, il s'en vante même avec une sorte  de souffrance orgueilleuse. Et finalement il en est fier! C'est une Emma Bovary masculin et russe et Dostoïevski est encore plus méchant que Flaubert envers son personnage! On ne peut donc le plaindre quand il se retrouve seul. Il est surtout victime de lui-même, de son incapacité à vivre sa vie et de son orgueil. Finalement loin de nous attendrir, le personnage nous amène à réfléchir sur nous-mêmes et à nous interroger sur le sens que nous voulons donner à notre vie.

La préface de Michel de Castillo

Je me suis interrogée au cours de cette lecture, sur la gêne et l'irritation que j'ai ressenties en découvrant ce personnage masculin. Et c'est Michel del Castillo qui m'a donné la meilleure des réponses. Je le cite.
La tristesse du livre, sa noirceur tiennent d'abord à cette parodie de la grandeur d'âme et de la pure passion. Tel un acide, l'ironie corrode les phrases sonores dont le jeune dostoïevski a longtemps fait son miel. La partition retentit de stridences qui écorchent les oreilles. Avec une délectation ricanante, Dostoievsky emplie les lieux communs, multiplie les références et les clins d'oeil, déchaîne les cordes des envolées pathétiques. Ce faux roman d'amour, ce faux romantisme... ce reptile déguisé en rêveur, cette ville elle-même, artificielle, illusoire, monstrueuse, cachant ses pustules derrière ses marbres et ses palais, jusqu'à ces nuits qui ne sont ni des jours ni des nuits, mais des cauchemars blafards, tout est marqué sous le sceau de l'inauthenticité.

C'est ce que signifie ces avertissements donnés à Nastenka par le jeune homme :

"Il existe à Saint Pétersbourg des recoins assez étranges. Ces recoins, ils ne semblent pas visités même par le soleil... Dans ces recoins ma chère Nastenka, semble survivre une tout autre vie, très différente de celle qui bouillonne autour de nous... Et cette vie est un mélange d'on ne sait quoi de purement fantastique, de violemment idéal avec quelque chose d'autre.. de morne, de prosaïque, d'ordinaire, pour ne pas dire : d'invraisemblablement vulgaire.."

Et s'il y a ironie, on peut dire qu'elle est féroce lorsque dans le dénouement le jeune homme s'exclame :  "Mon Dieu! une seule minute de béatitude! N'est-ce pas assez pour toute une vie d'homme?"

Le peintre Sourikov et la Boyarina Morozova

La première de couverture de la collection Babel Actes Suds offre un très joli portrait, détail d'une grand tableau historique de Vassili Ivanovitch Sourikov que j'ai vu à Moscou dans la galerie Tetriakov.

Moscou La galerie Tetriakov : musée de peinture russe
La galerie Tetriakov

Vassili Ivanovitch Sourikov; la Boyarina  Morozova (1887) (cliquez sur les images)

Le tableau montre la boyarina chargée de chaînes amenée dans la citadelle où elle mourra. C'est un moment de l'Histoire religieuse russe. Le patriarche de Moscou Nikon pour uniformiser toutes les églises orthodoxes de Russie et de Grèce avait  réformé la liturgie en 1666-1667.  Une réforme qui provoqua un schisme (Raskol) entre les "vieux-croyants" ( les starovères)  et les autres. Conduite en prison la boyarina qui se tient du côté des schismatiques fait un signe d'opposition : elle lève deux doigts en l'air pour montrer que c'est ainsi que les "vieux croyants" continueront à se signer et non avec trois doigts pour symboliser la Trinité comme le préconisait le patriarche. A partir de 1685, les "vieux-Croyants" furent persécutés, des dizaines de milliers de d'entre eux furent exécutés, condamnés au bûcher ou emprisonnés à vie. La persécution dura jusqu'en 1905 date à laquelle Nicolas II signa une loi garantissant la liberté de la religion..

C'est dans la foule des "Vieux-croyants" que l'on retrouve la jeune fille de la première de couverture de Les nuits blanches. On peut voir, d'après ce tableau, que les vieux croyants se recrutent dans toutes les classes de la société, mendiants, femmes et hommes du peuple, riches et nobles.

Moscou  : Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)
Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)

Si on la regarde de plus près, on perçoit sa tristesse lorsqu'elle regarde la boyarina, ce qui ne laisse aucun doute sur son appartenance au groupe des "vieux-croyants".

Moscou Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)
Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov Boyarina  Morozova (détail)

Mais dans la foule, à gauche, certains ricanent. A voir ces visages caricaturaux, on ne doute pas un instant de quel côté le peintre balance!

Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)

Vassili Ivanovitch Sourikov

Galerie tretiakov Moscou Vassili Sourikov : Autoportrait
Vassili Sourikov : Autoportrait

Le peintre Vassili Sourikov est né en 1848. Il a appartenu au mouvement  réaliste et au groupe des peintres ambulants (ou itinérants) qui apparut en Russie à partir de 1863 pour réagir contre les méthodes et l'enseignement de l'Académie des Beaux-Arts de Saint Pétersbourg. Parmi eux pour neciter que le plus célèbre : Répin.  Ils privilégient une peinture de caractère historique et social et ont des idéaux libertaires, démocratiques..

Autres oeuvres de Vassili Sourikov à la galerie Tétriakov de Moscou 
 et au musée russe de Saint Pétersbourg


Moscou Galerie Tétriakov Vassili Sourikov Le matin de l'exécution des Streltsy (1881)
Galerie Tétriakov Le matin de l'exécution des Stretsly (1881)
La scène se passe sur la place Rouge, devant l'église de Basile-Le-Bienheureux. On voit les murailles du Kremlin, symboles du pouvoir autocrate. Les  Streltsy, ce sont les boyards moscovites, qui se sont rebellés contre le pouvoir du Tsar Pierre 1er, profitant de son séjour en Europe. Revenu à Moscou, Pierre le Grand a une réponse terrible. Des milliers de conjurés sont exécutés et le tsar transfère sa capitale dans la ville qui fait bâtir au bord de la Néva : Saint Pétersbourg. Le tsar, à droite, monté sur son cheval, regarde la scène.

Moscou : Vassili Invanovitch Sourikov Le matin de l'exécution des Stresly (1881) détail
Galerie Tétriakov Le matin de l'exécution des Streltsy (1881) détail


La conquête de la Sibérie par Yermak par Vassili Sourikov  Les Russes (à gauche) fusillent sans pitié avec leurs armes à feu attaquent leurs ennemis qui se défendent avec des arcs et des flèches. 
La conquête de la Sibérie par Yermak. Huile sur toile par Vassili Sourikov (1895). Musée russe (Saint Petersbourg)

Vassili Sourikov : La prise de la forteresse de neige Musée russe Saint Pétersbourg
Vassili Sourikov : La prise de la forteresse de neige Musée russe Saint Pétersbourg
Toujours une grande compostition mais cette fois-ci pour montrer la gaieté du peuple russe au cours d'une amusante bataille dans la neige .
Saint Pétersbourg Musée russe Sourikov : La prise de la forteresse de neige
Vassili Sourikov : La prise de la forteresse de neige Musée russe Saint Pétersbourg(détail)

Musée russe Le monument à Pierre le grand sur la place du Sénat à Saint Pétersbourg le fameux cavalier de bronze statue de Falconet.
Le monument à Pierre le grand sur la place du Sénat à Saint Pétersbourg

Saint pétersbourg Musée russe  Vassili Sourikov : le vieux soldat
Musée russe  Vassili Sourikov : le vieux soldat

Moscou Vassili Sourikov : portrait de sa fille Olga
Galerie Trétiakov  Vassili Sourikov : portrait de sa fille Olga

Luchino Visconti

Luchino Visconti
Luchino Visconti de Modrone est le fils du duc Giuseppe Visconti de Modrone. La famille Visconti régna sur Milan jusqu’au XVème siècle et appartient donc à la grande aristocratie italienne proche de la famille royale. Elle possède un palais à Milan, une villa renaissance sur le bord du Lac de Côme et un château à Plaisance. Il est réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre et écrivain;

Passionné de chevaux (il s’occupait d’une écurie de sa propriété et était champion d’équitation), il l’est aussi d’opéra et de musique et rencontre les plus grands musiciens de l’époque dans le salon de sa mère (Puccini, Toscanini); la famille a une loge particulière à la Scala. Il était lui-même violoncelliste.  Ce qui explique l’importance de la musique dans son oeuvre cinématographique. De plus, dans leur propriété au bord du lac de Côme, la villa Erba, son père aimait monter des pièces de théâtre. Les enfants Visconti interprétaient de nombreux personnages.  Le rôle préféré de Luchino était Hamlet (modestement!) et avant d'être attiré par le cinéma, il se passionnait pour le théâtre.

Il débuta sa carrière en 1936 comme assistant de Jean Renoir avec les Bas-fonds et Partie de campagne. On peut dire qu'il a été à bonne école! C'est en France, avec Renoir, que Luchino clarifie ses idées au sujet du fascisme et de Mussolini et adhère totalement aux idées esthétiques mais aussi politiques du Front Populaire. C'est parmi les intellectuels parisiens et dans ce contexte de liberté qu'il affirme et accepte entièrement son homosexualité.
Son premier film est Ossessione en 1942 (Les amants diaboliques) d’après le roman Mc Caine : Le facteur sonne toujours deux fois.

Le Notti Bianche :  Les nuits blanches

Les nuits blanches: Maria Schell et Marcello Mastroïani

Les nuits blanches (1957) est une adaptation du roman de Dostoievski. Visconti déplace l’action de Saint Pétersbourg à Livourne, dans le quartier Venezia, dont il reconstitue un quartier en studio à Cinecitta.
Pourquoi Livourne? Par ses canaux et ses ponts, la ville est censée rappeler Saint Pétersbourg.
Pourquoi en studio? Parce qu’il permet à Visconti de réaliser son projet de réunir théâtre et cinéma. Le brouillard est rendu par des voiles de tulle comme au théâtre. Les jeux d’ombre et de lumière doivent paraître artificiels et faux, offrant ainsi un décor onirique au récit qui est filmé en noir et blanc. Ceci n’empêche pas le réalisme. De même que Dostievski situait le récit de Les nuits blanches dans un quartier populaire et  pauvre, de même le quartier ou vivent les personnages de Visconti est lépreux, mal famé et les habitants modestes mais.. d'une manière très esthétique. Le récit est fidèle à l’histoire mais ni au sens ni à la psychologie des personnages du roman. 
Marcello Mastroiani (Mario) est un jeune homme, trop beau, trop sûr de lui, prompt à prendre mouche et en aucun cas il n'est le rêveur déconnecté du monde, cultivant sa différence, s’enivrant de mots et de sentiments faux, et s’apitoyant sur lui-même dans une pose affectée. Au contraire, il paraît très prosaïque. En fait, il s’efface même, par moments, devant le personnage féminin, Natalia, incarnée par Marie Schell qui prend plus d’importance que lui, à la différence du roman. Il faut dire que Maria Schell était alors au sommet de sa gloire et est particulièrement mise en valeur.  Son interprétation  exacerbe le romantisme de l’histoire.
On peut dire, donc que Visconti n’a été fidèle à l’écrivain que par la forme mais non par le fond.










Le livre : Les nuits blanches de Fédor Dostoïevski
Le film : Nuits blanches de Luchino Visconti
Bravo à Aifelle, Dasola, Eeeguab, Kathel, Keisha, Thérèse, Valentine, 
Merci à tous pour votre participation.