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mardi 19 décembre 2023

Jean-Baptiste Andrea : Veiller sur elle


 


Parlons un peu du prix Goncourt !  Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea ! Voilà un moment que je l’ai lu et je ne suis pas encore arrivée à le commenter ici !

Mimo est mourant. Entouré des frères de l’abbaye piémontaise où il vit bien qu’il ne soit pas moine, le vieil homme retrace pour nous son passé. Issu d’une famille pauvre, il est appelé Michelangelo par sa mère qui veut qu’il reprenne le métier de son père et devienne un grand sculpteur. Michelangelo Vitaliani ! Et effectivement, Mimo est doué et précoce. Aussi quand sa mère, à la mort de son père, l’envoie chez son oncle pour apprendre la sculpture, l’élève débutant dépasse le maître, un alcoolique sans talent. Le jeune garçon est déjà un grand artiste.
L’enfance de Mimo sera celle d’un enfant du peuple, obscur, victime de maltraitance, humilié, battu et ignorant car, même s’il sait lire et écrire, il n’a pas accès aux livres. Sa rencontre avec Viola Orsini, fille d’une grande famille, change le cours de sa vie. Il s’initie à la délicatesse des sentiments, il accède à la culture grâce aux livres qu’elle lui prête. Une amitié naît entre les enfants qui survivra à l’enfance malgré la différence de classe, les aléas de la vie et les orages de l’Histoire, la montée du fascisme et la guerre.

Chacun des deux personnages est hanté par ses démons. Tous deux souffrent  :  Mimo d’être atteint de nanisme et d'être pauvre, Viola d’être femme, un mal différent mais pourtant comparable, tous deux empêchés de se réaliser, d’être libres !  
A Florence où il se retrouve seul, éloigné de Viola, en proie à la jalousie des autres apprentis de son atelier et où il lui est difficile de créer, Mimo fréquente les milieux interlopes, boit, se bagarre et, comme il s’intéresse peu à l’actualité et aux idées politiques, se laisse enrôler dans des corpuscules fascistes.
Viola, qui est d’une intelligence exceptionnelle, dotée d’une mémoire absolue, ne peut se résigner au sort réservé aux femmes de son milieu : mariage avec un homme fortuné pour sauver sa famille de la ruine. Elle cherche obstinément à réaliser son  rêve : voler ! Mais ses désirs, ses ambitions, son intelligence et sa culture, sa vie même, sont mis sous éteignoir parce qu’elle est une femme !

C’est cette histoire d’une amitié improbable, orageuse mais solide, dont les racines plongent dans  une des époques les plus tourmentées et des plus terribles de l’Italie qui est l’un des grands intérêts du roman.
Et puis il y a cette splendide statue, oeuvre de Mimo, la Pieta Vitaliani, devant laquelle de nombreux visiteurs ont éprouvé des malaises (façon syndrome de Stendhal) si forts qu’elle est désormais cachée au public, enfouie dans les caves de l’abbaye.


La Pieta de Michel Ange

Vitaliani ne cherche pas à rendre son christ beau, mais il l’est malgré lui, ses joues glabres creusées par l’agonie, ses yeux clos, tout juste fermés par la main apaisante de sa mère. Une troublante impression de mouvement se dégage de l’œuvre, là encore en opposition à celle, hiératique, de Buonarotti. Impression qui n’a rien de métaphorique : de nombreux spectateurs qui l’avaient fixée trop longtemps, on juré l’avoir vu bouger.
 Quel est le mystère de cette Piéta ? Nous l’apprendrons, bien sûr, au cours de notre lecture.

Il s’agit donc aussi d’un livre sur l’essence de l'art et les émotions qu’il nous procure, une réflexion sur le rôle de la Beauté dans un pays où elle est partout, dans les rues comme dans les églises, sur les places et dans les paysages.


L'annonciation Fra Angelico

 
Ainsi, dans le passage suivant, Mimo amène Viola à Florence et lui fait découvrir les fresques de Fra Angelico qu’elle admire mais qu’elle n’a jamais vues.

D’un geste, j’invitai Viola à entrer dans la première cellule. Elle franchit le seuil, s’arrêta devant l’Annonciation de Fra Angelico et se mit à pleurer, sans saccades, sans tristesse, à pleurer de joie devant l’ange aux ailes de paon et la femme-enfant qui allait changer le monde.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre. La rentrée littéraire a fait la part belle à l’Italie cette année avec aussi Perspectives et Le portrait de mariage. C’est des trois romans celui que j’ai  préféré et qui m’a le plus touchée.

samedi 23 septembre 2023

Gaspard Koenig : Humus

 



Humus de Gaspard Koenig est un roman écologique où deux étudiants en agronomie prennent la mesure du défi qui les attend et du sort qui menace le genre humain face à l’appauvrissement des sols ruinés par les pesticides, dépourvus d'humus. C’est une évidence qui nous mène tout droit à la famine alimentaire et à la fin de l’humanité. Car, il faut savoir que Humus, en latin signifie Homme et que sans humus, la vie n’est plus possible ! Mais il semble qu’il y ait une solution, apprennent les deux amis, Kevin et Arthur, au cours d’une conférence sur les vers de terre, c’est le vermicompostage. Et oui, le lombric comme sauveur de l’humanité ! Il faut dire que ces adorables petites bêtes travaillent pour nous, aèrent la terre, transforment les déchets en matière organique et enrichissent nos sous-sols ! Au lieu de les empoisonner, il faut, au contraire, les protéger et et les réintroduire par inoculation dans les sols épuisés. Et voilà nos deux agronomes partis en croisade ! Les Rastignac du ver de terre !


Le lombric : 7000 espèces différentes


Les espaces infinis qui fascinent  les philosophes ne se trouvent pas au-dessus de nos têtes mais sous nos pieds. Les vers de terre transforment le sol en un dédale de chemins, de croisements, de puits, de cachettes. Chaque mètre carré dissimule  cinq mètres de galeries, un réseau encore plus dense que celui  des pyramides. Ce sont elles qui permettent de remonter depuis les entrailles de la Terre, les éléments nutritifs à la vie et, inversement, qui drainent l’eau de la pluie pour la garder en réserve. Sans cette architecture complexe, les sols se tassent, l’eau ruisselle en surface et les plantes restent affamées.


Ironie et dérision

 

C'est la faux qui doit travailler...

 

Arthur le bourgeois, fils d’avocat, choisit d’aller cultiver ( c’est logique ! Lui, ne sait pas ce que c’est !) la terre familiale « pesticidée », si j’ose dire, au dernier degré.
 Kevin, fils d’ouvriers agricoles, se gardent bien de suivre l’exemple de ses parents (pas bête ! Lui, sait  !)

« Malgré tout le prix qu'il accordait à leur amitié, Kevin ne s'imaginait pas un instant vivre en Basse-Normandie avec deux néo-ruraux émerveillés par les papillons. »

 
Il se lance dans la création d’une start-up de vermicompostage à grande échelle, qui, grâce aux lombrics de tout acabit et par un procédé naturel, sans engrais et sans pesticides, va fournir une terre noire, grasse et riche qui sera vendue partout dans le monde. Certes, il ne connaît rien à la gestion de l’entreprise et à la recherche des financements mais il est aidé par la cupide Philippine, qui incarne le capitalisme sans scrupules, dans toute son horreur et sa malhonnêteté.

Et bien, sachez-le, nos deux agronomes échoueront ! C’était couru d’avance mais il faut lire le roman pour  comprendre pourquoi et comment. Humus est une charge contre notre monde actuel qui ne sait pas s’arrêter dans cette course vers la mort et est déjà, comme le champ d’Arthur, à un point de non retour. Il est une critique du capitalisme qui n’hésite pas à vendre son âme (c’est ce que finit par faire Kevin) lorsqu’il s’agit d'argent.

Si c’est un constat assez amer, c’est avec ironie et dérision que Gaspard Koenig nous raconte cette histoire qui ne laisse pas cependant d’être angoissante. Il y a des moments d’humour que j’aime beaucoup quand Arthur, par exemple, défrichant son champ à la faux et refusant vertueusement l’utilisation du tracteur, est obligé - couvert de pansements -  de lire le mode d’emploi de cet outil qu’il est bien incapable de manier !

« C’est la faux qui doit travailler et non vous. » Il était bien d’accord.
Votre faux étant à plat sur le sol, posez un point de repère quelconque au point A au ras de la lame. Tout en maintenant la pointe du manche contre votre botte, saisissez la poignée du milieu et faites pivoter la faux au ras du sol jusqu’à ce que la pointe p vienne jusqu’au repère A. » etc…


ou quand désireux de se suicider, il calcule quel genre de mort aura le moins d’impact sur l’environnement!
Ce n’est pas pour rien que Arthur se trouve vers l’éco- terrorisme, lui aussi, voué à l’échec.

Une satire de certains milieux
 
Campus Agro Paris tech


Le roman est aussi une satire des milieux bourgeois comme des milieux financiers qui, lorsqu’ils apprennent que Kevin est issu d’un milieu modeste et fait ses études dans cette grande école d’agronomie, l’Agro Paris Tech, se réjouissent, confortés dans leur bonne conscience, que « l’ascenseur social » fonctionne en France (même si Kevin est le seul avoir atteint ce niveau !).

« Kevin resta muet. Il ne comprenait pas cette histoire d’ascenseur. Il avait plutôt l’impression de marcher d’une aventure à l’autre sans monter ni descendre. »

Ironie aussi envers le parisianisme de la directrice RSE  (de l’Oréal) qui rencontre Kevin :

« Madame RSE le regarda avec étonnement. Si l’idée qu’on puisse naître et grandir dans le Limousin était un
e vérité théorique incontestable, elle n’avait encore jamais rencontré de cas pratique. »

L’Agro Paris Tech, d’ailleurs, n’échappe pas à l’ironie de Koenig, cette grande école qui oeuvre pour booster le déploiement de la bioéconomie mais qui forment surtout des jeunes loups  soucieux de faire une carrière lucrative. L’hypocrisie consiste à la fin de l’année d’étude à laisser parler pendant quelques minutes « les bifurqueurs » «  pour dénoncer l’agribusiness et présenter leurs projets alternatifs en ferme autogérée ou à la Confédération paysanne, sous les applaudissements de leurs camarades qui, eux, auraient déjà signé leurs contrats chez Danone. »

Sous la forme d’un roman présentant des personnages que l’on suit avec plaisir, Gaspard Koenig dresse, avec un  humour grinçant, un constat pessimiste de l’état de la planète mais la fin présente pourtant une note d’espoir.


LC avec Keisha ICI  et Je lis je blogue ICI

mercredi 25 janvier 2023

Sandrine Colette : On était des loups

 

Dans On était des loups Sandrine Colette raconte une histoire située dans des forêts montagneuses qui paraissent de prime abord mythiques, étranges, irréelles.  Mythiques dans des pays comme le nôtre, peut-être, mais j’imagine, maintenant encore, les grands espaces de forêts sauvages au Canada ou les régions de hautes montagnes aux Etats-Unis et alors cette vie, oui, prend tout son sens et devient réelle. Là, des hommes rudes, plus rarement des femmes, vivent en quasi autarcie. Liam est un de ceux-là. Son épouse Ava a accepté de le suivre pour partager cette vie primitive mais elle a voulu un enfant. Elle élève son petit garçon Aru pendant que Liam chasse, absent pendant de longues périodes, pour ramener ce qui est nécessaire à leur survie pendant les hivers rigoureux. Or, un jour qu’il revient de la chasse, il trouve Ava morte, attaquée par un ours, et sous elle, protégée par son corps, son enfant encore vivant. Liam entreprend alors un voyage jusqu’à la ville avec Aru pour confier celui-ci à son oncle et sa tante. Mais lorsque ceux-ci refusent de s’en occuper, l’homme ne sait plus que faire de l’enfant.
Le récit suit le fils et le père au cours de la longue marche qu’ils vont faire sur le chemin du retour dans ce monde inhospitalier. Un voyage au cours duquel l’homme va affronter ses démons intérieurs, et peut-être, en perdant une partie de sa force, gagner en humanité.

 

Paysage des Rocheuses aux Etats-Unis source

Dès le début quand on voit de jeunes hippies décamper de leurs cabanes au milieu de d’hiver dans la montagne, le ton est donné : « Bref ils avaient oublié que la nature, c’est marche ou crève, ce n’est pas le soleil les petits oiseaux et des gens mignons autour. Il faut le savoir quand on vient ici sinon ça cogne la tête un jour pas loin. ». Et la nature apparaît, parfois effrayante, dangereuse, parfois implacable car un accident, une blessure peuvent se révéler fatals. Elle est vue à travers la langue un peu raboteuse du narrateur, le père, une langue instinctive, primaire, parfois sans véritable ponctuation, sans pause, une langue parlée, mais d’où naît une poésie brute et forte comme la nature elle-même : Je tressaille quand la terre se cabre sous les éclairs qui gueulent et qui scintillent je sais qu’il ne reste pas beaucoup de temps pour s’abriter.
Tout de suite après ça dégringole.  Les éclairs continuent à frapper et je me dis que le jour de la fin du monde ce sera pareil à ça, pas besoin d’imaginer autre chose. Il fait nuit en plein jour et la foudre éclate le ciel et fait trembler nos coeurs. Nos corps vibrent du roulement du tonnerre et la pluie nous rince on dirait qu’elle veut  nous  faire fondre.

Mais la Nature est toujours belle, majestueuse, certes sans pitié pour les humains dont elle efface les traces.

Le père muré dans son chagrin nous apparaît au départ comme une véritable brute, un homme qui considère les enfants comme des êtres inutiles, qui s’enferme dans le mutisme, en ne s’adressant à son fils que pour lancer des ordres, ne s’occupant de ce petit garçon de six ans ans qui vient de perdre sa mère que pour le nourrir, le laissant se débrouiller seul, envoyant à l’occasion quelques gifles bien senties. Exutoire d’un désespoir qu’il est incapable d’exprimer en paroles, son fils devient un souffre-douleur jusqu’à l’acte de folie que je vous laisse découvrir. Cette scène violente marque l’apogée de cette colère intérieure et de cette rumination que l’homme nourrit depuis la mort de sa femme. Colère contre lui-même qui n’a pas su les défendre, colère injuste, horrible, contre l’enfant qui a survécu alors que Ava est morte. Et à partir de là, c’est aussi une prise de conscience, un réveil de la part humaine qui est en lui.

 

Loup montagne en France source 
 
Car cet homme ne peut pas être entièrement méchant lui qui est si sensible à la beauté qui l'entoure :

« Et pourtant du temps j’en prends quand j’écoute les loups et que je contemple le bleu de la nuit, et quand je ne suis pas trop haut je compte les petits éclats incandescents des vers luisants comme si c’étaient des soleils à la fois précieux et dérisoires. C’est pour ce temps-là que je vis ici, c’est seulement que le monde est trop grand pour  qu’on puisse tout voir. C’est aussi ce qui fait la beauté et si je connaissais tout il n’y aurait plus de surprise et je ne trouverais pas que la lumière est comme un tour de magie devant moi. »

Lui qui écoute le chant des loups dans la nuit, les comprend et parfois leur répond, n’est pas dépourvu de sentiments. On le voit quand du temps où Ava vivait encore, son fils guettait son retour et courait à lui :

« Ça non plus je n’ai pas de mots pour le dire je le perçois dans ma poitrine et c’est gigantesque et le petit court vers moi il ne court pas vite il est petit. C’est là que c’est bizarre, chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre, et c’est de l’émotion que je n’arrive pas à retenir, de l’émotion de voir qu’il m’attend et qu’il n’attend que moi et sur son visage le bonheur qu’il y a je ne peux pas l’expliquer c’est immense… »

 La suite du roman est celle de la seconde chance. Seconde chance de reconquérir l’amour de son fils, de devenir un père aimant et protecteur, de faire tomber le mur invisible qu’il a élevé entre lui et le petit, seconde chance aussi de se laisser aller à exprimer ses sentiments, lui qui a vécu dans une famille où l’on ne se parlait pas, et où les coups, l’absence d’empathie, la dureté, remplaçaient l’éducation, seconde chance de ne pas être comme ses parents, «des vieux qui gueulaient et cognaient sec ».
Mais c’est vraiment quand le père malade (il faut lire le livre pour savoir pourquoi ) doit abandonner son rôle de protecteur, laissant à Aru si frêle, si fragile, la responsabilité de leur survie, c’est lorsque le garçon prend le rôle du père que la boucle est bouclée, les choses sont rentrées dans l’ordre et l’enfant à son tour peut chanter avec les loups car, au début … on était tous des loups.

« J’ai du mal à expliquer pourtant en ce temps-là il n’y avait pas ces haines et ces peurs, en ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas différence on était le monde. Le chant des loups nous appelle parce que c’est notre chant et aussi loin qu’on puisse remonter il y a l’éclat d’un animal en nous et c’est pour ça que ça m’émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. »

Sandrine Colette
 

J’ai apprécié ce roman qui me rappelle les romans américains de Nature Writing. Comme eux, ils nous plongent dans la vie primitive où les forces de la nature soulignent la faiblesse de l’homme mais compensent leur violence par une beauté à couper le souffle. On peut se demander, pourtant, si l’affreux vieillard rencontré au coeur de la forêt est un personnage indispensable, sur le moment j'ai pensé que non,  et quelle est sa véritable raison d’être…  A moins qu’on ne le voit, rejoignant les contes traditionnels immémoriaux, comme un ogre avide d’enfants, l’incarnation véritable du Mal sur la terre alors que ni les ours, ni les loups ne sont responsables de ce qu’ils sont.


Voir Gambadou Ici
 

mercredi 18 janvier 2023

Dimitri Rouchon-Borie : Le démon de la colline aux loups

 

Sans avoir choisi le thème, j’ai lu à la suite des livres qui traitent de l’enfance maltraitée, abusée. Je ne savais pas à l’avance ce que j’allais lire sinon je n’aurais peut-être pas eu le courage ? C’est ce qu’a compris Duke, le personnage de Le démon de la colline aux loups. Adulte, malade et sentant sa fin proche, c'est en prison qu'il écrit l’histoire de son enfance :  

Je vais écrire des choses sales et je voudrais que vous me pardonniez même si lire c’est moins pire que subir on voudrait tous être épargnés. »

Je n’ai pas rendu compte de tous ces livres mais seulement de ceux qui avaient de la sincérité, de l’émotion, de la force. Parfois, en effet, l’on sent bien que l’auteur en parle parce que c’est dans l’air du temps. D’autre fois, c’est un trop plein qui se déverse, un cri qui s’élève, une révolte qui s’exprime.

C’est le cas du roman Le démon de la colline aux loups de Dimitri Rouchon-Borie et quel roman ! Celui-ci, journaliste chroniqueur judiciaire, après avoir assisté à un procès concernant des parents pédophiles, se met à écrire ce qui sera son premier livre. « J’ai ressenti à ce moment une saturation émotionnelle » confie-t-il sur Presslib. Paru en 2021, son livre a été sept fois primé.« Je pense que c'est le souci de l'humain qui a autant plu aux jurys »  dit-il voir ici

Oui, c’est le souci de l’humain, en effet ! L’homme qui, en prison, écrit sur son enfance saccagée, sur le petit garçon fragile et plein de tendresse qui a été tué en lui, nous touche profondément. Et s’il écrit pour faire connaître son histoire, c’est qu’il veut exorciser le démon que ses parents ont planté dans son âme, et la sauver.
Je suis comme un arbre pourri avec ses racines pour toujours dans le marais de l'enfance.

Des êtres humains, il en a pourtant rencontrés, son institutrice, le directeur de l’école, sa famille d’accueil Maria et Pete, les policiers qui l’ont soustrait à ses parents, les infirmières qui l’ont soigné :

Au bout d'un moment j'ai craqué et pleuré encore et je n'arrêtais plus de pleurer et les infirmières me prenaient dans leurs bras et une a pleuré aussi et je me disais c'est étonnant qu'il y ait tant de femmes gentilles et que pas une n'a pu être ma mère.


Mais le mal est fait. Peut-on guérir d’une enfance pareille? Peut-on s’en sortir indemne ?

 Je crois que Pete percevait bien les choses car son regard avait changé il savait qu'on peut faire tout ce qu'on peut on ne sauve pas les gens comme ça.

Pourtant, Duke qui cherche à extirper le démon semblable à une entité vivante dans sa tête, ( Sa colère ? lui suggère un psychiatre ), s’interroge aussi sur la liberté humaine.  A-t-il eu le choix ? La réponse est oui, il l’a eu et à plusieurs reprises, une fois en rentrant chez ses tortionnaires au lieu de s’enfuir, une autre fois en s’enfuyant de chez sa famille d’accueil, en refusant leur aide, leur soutien bienveillant. Il a laissé le démon triompher. Il a choisi le Mal plutôt que le Bien. Et c’est pourquoi Duke reconnaît sa responsabilité et c’est pourquoi il songe à demander pardon pour ses crimes et, comme le lui suggère le prêtre qui vient le voir en prison, il cherche à gagner sa rédemption.

Le style de l’écrivain nous met en empathie avec le personnage, il nous fait sentir la souffrance de l’enfant mais aussi de l’adulte. Comme si nous étions à l'intérieur, pas seulement comme spectateurs. Comment y parvient-il ?

Dans Qui sème le vent  roman commenté récemment, ICI, c’est un enfant qui raconte son histoire avec une certaine naïveté, ce qui fait parfois sourire ou qui inquiète et fait mal. Ici, ce n’est pas un enfant qui parle, c’est un adulte qui réfléchit, soulève des questions philosophiques sur le Bien et le Mal, se pose des questions sur la foi, le salut, la damnation. C’est un homme qui fait des allers retours entre la vision qu’il avait enfant et sa vision actuelle, entre les mots qu’il ne connaissait pas mais qu’il maîtrise à présent, entre ce qu’il ne comprenait pas et ce qu’il comprend à présent..

C’est bête à dire mais la Colline aux Loups au départ je ne savais pas que c’était la Colline aux Loups vu que j’habitais dans la maison qui était dessus et que je n’en étais jamais sorti encore. On était là et on ne savait pas qu’on était dedans.

Et pourtant à travers la voix de l’adulte on perçoit celle de l’enfant,  comme si la souffrance ne pouvait être évacuée et était sans cesse revécue et, surtout, comme s’il y avait eu une impossible maturation, comme s'il était toujours resté un enfant au fond de lui. La voix enfantine derrière celle de l’adulte nous émeut comme nous touche son « parlement » maladroit, cette incapacité à formuler les choses, et le recours qu’il à l’image pour parvenir à se faire comprendre. C’est quelqu’un qui ne peut exprimer complètement ce qu’il ressent car il a été privé non seulement d’instruction, de vie sociale et d’amour mais aussi de la conscience de soi, élevé pêle-mêle sur le carrelage avec ses frères et soeurs comme des « loirs ou des mulots ».  

Ça paraîtra bizarre à tous mais au commencement on n’avait pas de noms. A quoi ça aurait servi on n’avait pas besoin de s’appeler alors on ne s’appelait pas.

Ce roman m’a donc beaucoup touchée et j’ai aimé cette manière d’écrire qui révèle la personnalité du personnage. Mais, bien sûr, tout ceci est écrit avec une simplicité apparente qui relève d’une grande maîtrise stylistique. Un très beau roman !


vendredi 6 janvier 2023

Eleftheria 
de Murielle Szac : Premier prix des avignonnais 2022

Murielle Szac Eleftheria

Et pour en finir avec les bilans, en voici un dernier dans mon blog, du moins pour cette année : La mairie d'Avignon a inauguré en  2022 le premier prix littéraire des Avignonnais. Cinq ouvrages ont été préalablement sélectionnés par les bibliothèques, la directrice des bibliothèques d'Avignon, les librairies d'Avignon et un professeur de lettres du lycée René Char. J'ai lu les cinq livres et j'ai voté.

Quel a été mon classement personnel ?

1) Le pion de  
Paco Cerdà
  ICI

2) Eleftheria 
de Murielle Szac ICI

3) L’invention du diable
 de Hubert Haddad
 ICI

4) Des rêves d’or et d’acier
 d'Émilie Tôn
   Lu mais pas commenté

5) L'évaporée de Fanny Chiarello et Wendy Delorme ICI

 

 Voilà quel a été le classement des Avignonnais :

1) Le prix des Avignonnais a été attribué à Eleftheria 
de Murielle Szac  Éditions Emmanuelle Collas 



 1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin. 

Un bon livre, je suis heureuse qu'il ait été remarqué.

2) Le livre qui arrive en deuxième position : Des rêves d’or et d’acier
 d'Émilie Tôn
 

Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 Un sujet intéressant, bien ancré dans la réalité et qui parle du père de l'écrivaine, vietnamien musulman, obligé de fuir son pays, il raconte son exil et la vie des ouvriers immigrés en Lorraine. Mais  le style m'a paru plat, banal.

3) le livre  qui est en  troisième position est Le pion 
Paco Cerdà
  

Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 


C'est dommage, je l'aurais bien vu en première position ou, à défaut, en seconde après Eleftheria.  Je le trouve passionnant, intelligent, subtil, touchant, même s'il est parfois un peu long et touffu.

Le livre en quatrième position  : L'évaporée de Fanny Chiarello et Wendy Delorme

 Editions Cambourakis


 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

J'ai dit dans mon billet qu'il ne m'intéressait pas même s'il présente une recherche stylistique

5) le livre classé en cinquième position :  L’invention du diable
 de Hubert Haddad
 

Éditions Zulma 




Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 J'ai eu un avis mitigé sur ce texte, le style est brillant, le personnage du poète passionnant, la réflexion sur le temps intéressante... mais pas assez d'émotion ! En tout cas, je ne l'aurais pas placé en dernier !


jeudi 27 octobre 2022

Murielle Szac : Eleftheria

 

   

Eleftheria, le roman de Murielle Szac, est paru aux éditions Emmanuelle Collas. Je sais bien que la première de couverture ne préjuge pas de la qualité du roman, mais je ne sais pas si vous êtes comme moi, cette photographie d'Oleg Gekman, avec cette silhouette élancée prenant son envol, (sa liberté ?), dans ce  paysage d'une grande beauté, ce contraste entre le rouge, synonyme de violence, et le bleu qui évoque la vie, m'ont irrésistiblement attirée.

En 1940, les deux communautés juives et chrétiennes qui vivent en Crète, en bonne intelligence, ont encore quelques moments d’insouciance. Certes, Stella, la jolie juive, qui épouse Yorgos, le chrétien, s’attire réprobation et commérages. Mais dans cette île, on célèbre les cultes respectifs dans des bâtiments religieux dressés côte à côte, et il n’est pas rare que les enfants se mêlent pour célébrer la fête des uns ou celle des autres.

Eleftheria ou Liberté, c’est celle que réclament les hommes et les femmes de ces communautés en cette année 1941qui voit la Grèce envahie par les allemands. Certains vont fuir, d’autres resteront prisonniers sur l’île ne pouvant échapper à leur destin. 

Le roman est conçu autour de plusieurs personnages qui vivront parallèlement ou ensemble la tragédie de l’occupation nazie : Rebecca et son amie chrétienne Réna, Ariadni qui s’attache à Isaac, le petit garçon de ses maîtres, Judith et Yakov, Nikos et Rachel, Petros, le photographe polonais, Luigi, l’officier  italien dont la garnison occupe l’est de la Crète et qui rejoint les résistants crétois à la mort de Mussolini… Et bien d’autres, tous des habitants de la Crète qui aiment leur île et vont être emportés par la violence de l’occupation, la privation des libertés, les massacres de la population, la déportation des juifs et des résistants dans le Tanaïs, bateau grec réquisitionné par l’armé allemande...

L’écrivaine Murielle Szac, tout en nous montrant la réalité de la guerre, s’attache aussi à faire revivre les populations, en peignant les coutumes et les croyances de ces communautés, qu’il s’agisse des juifs célébrant le Tashlikh, le Mikhev, ou des orthodoxes célébrant une noce et dansant la pentozalia, danse guerrière.
A côté des descriptions des paysages de l’île, l’auteure brosse aussi de beaux portraits des villageois, descendants des grands résistants crétois qui ont chassé l’envahisseur turc de leur île, et que Petros photographie dans des poses pleines d’une fierté farouche. J'ai aimé que l'écrivaine souligne ainsi le rôle de la photographie, comme témoin mais aussi comme conservateur de la mémoire, thème secondaire, peut-être, mais important car l'image est le seul le souvenir qui demeure de toutes ces personnes tragiquement disparues.
 

Peut-être manque-t-il dans ce livre, un souffle, une puissance qui en feraient pour moi un coup de coeur. Mais Eleftheria est un bon roman, bien écrit, présentant des qualités et qui a le mérite de nous remémorer un épisode terrible et peu connu de la seconde guerre mondiale en Crète. A lire ! 



 

Lu pour le Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 



 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 



mardi 25 octobre 2022

Hubert Haddad : L'invention du diable



 L’invention du diable de Hubert Haddad aux éditions Zulma raconte l’histoire de Marc Papillon,  seigneur de Lasphrise, poète. Vous avouerez qu’avec ce nom étrange, voire un peu ridicule, Papillon est un parfait personnage de roman. Erreur, car il a existé ! Il est né en 1555 près d’Ambroise. Son oeuvre poétique a survécu au temps même si elle est est moins connue que celle de ses illustres aînés, le "divin" Ronsard, Joachim du Bellay, Maurice de Scève, François Rabelais… Petit hobereau sans fortune dans son domaine tourangeau, Papillon, avant d’être poète, acquit une renommée de bravoure ainsi que moult balafres, cicatrices et coutures, au service des ducs de Guise pendant les guerres de Religion. Quand le capitaine Lasphrise, tout "envieilli", se retire dans son fief, sachez que le "rancuneux" Henri IV lui refuse même une pension pour ses exploits héroïques, preuve que la conversion du roi au catholicisme n’a pas complètement effacé son parpaillotisme … même si Paris vaut bien une messe ! Papillon se consacre à la poésie et à l’éducation de sa fille bien-aimée Marguerite. Il meurt en 1599. Enfin, il meurt ? Mais non ! il survit, comme nous l'apprend Hubert Haddad, car il fait un pacte avec le diable : il ne mourra pas tant que son oeuvre, enfin reconnue, ne  lui aura pas permis d’atteindre à la notoriété.

C’est dans ces vers que l’écrivain a trouvé le sujet du roman :

Démon témoin de mon jugement
Au risque d’en perdre âme et sang
Une plume à ma veine trempée
Scelle un contrat d’immortalité
Tant que gloire enfin me soit donnée
 Jamais serai-je en l’ombreux tombeau.


C’est donc ainsi que nous suivons les aventures de Papillon à travers les siècles, traînant avec lui la pesanteur de l’éternité et le désespoir d’un amour toujours renaissant et toujours mourant. L’éternité au goût de rien, à l’oublieuse mémoire qui laisse surgir, comme un éclair, un visage perdu dans les limbes du souvenir : "La sainte nature m’avait donné une enfant sur le tard. C’est à elle que je pense quelque fois." Sinon, rien !  L’éternité comme une "lassitude", comme une «"érosion", une "usure" qui "réduit à l’os" car  "On n’arrive pas à la gloire sans fatigue ". L’immortalité vécue comme une condamnation et, comble de dérision, condamnation que l’on s’est imposée à soi-même.

" A quelle étrangeté à soi faut-il accéder pour lâcher prise et devenir pareil aux vagues de la mer, à la neige vermeille de l’aube ou au bruissement des feuilles dans la lumière du soir. "  

L'invention du diable,  au-delà du fantastique, est donc la métaphore du Temps ou plutôt de ce rêve que tout être humain, même le plus humble, partage : faire échec au temps, laisser des traces, demeurer dans la mémoire des vivants. Or si cette recherche est commune à tous, elle l'est plus encore, à fortiori, pour le poète, l’écrivain. Ce que Boileau résume ainsi avec ironie :

"Sans cesse poursuivant ces fugitives fées
On voit sous les lauriers haleter les Orphées".

Au terme de son éternité Papillon se demandera si le jeu valait la chandelle, arrivant à la conclusion, après sa rencontre avec Napoléon et sa statue, que même l’immortalité est mortelle :

« Mais les statues vous ignorent : on les brise pour en élever d’autres qui subiront le même sort. ».

Le style de Hubert Haddad est poétique, recherché, brillant et riche avec ce rien de désuet dans la phrase et le vocabulaire qui permet d’évoquer le parler ancien de chacune des époques qu'il visite. Nous sommes au XVI siècle, avec Montaigne et Rabelais comme proches voisins, et nous passons de siècle en siècle, chez la marquise de Rambouillet, dans le salon des Précieuses, avec Voiture et Racan, séjournant à la Bastille dans la tour de la Bertaudière où notre Papillon mange à la table du marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, juste avant les assauts de la Révolution. Nous parcourons l’Empire et découvrons son empereur déchu,  la Commune, la Grande Guerre, jusqu’à nos jours. Nous traversons les remous de l’Histoire tout en allant à la rencontre des écrivains, artistes, hommes célèbres.

Ce roman avait donc tout pour me plaire :  la réflexion philosophique sur le Temps soulignant l’éphémérité de la vie humaine, la dérision de l’immortalité; la découverte de ce poète du XVI siècle, Marc Papillon de Laphise, que j’aime beaucoup à travers les extraits qui nous sont proposés ; puis le  retour dans le passé avec  l’Histoire de la France, enfin l’introduction du fantastique.

Et pourtant j’ai éprouvé de la distance, parfois même  de l’ennui, en lisant ce livre. Certes, j’ai bien senti la nostalgie qui imprègne ces pages, j’ai été sensible à la souffrance du personnage, à l’horreur de l’immortalité qui dépossède de la mémoire, qui gomme les êtres que l’on a aimés. Mais en même temps je suis restée en dehors.  A force de  survoler les siècles, on en a une vision au pas de course, trop rapide, réduite souvent à des noms qui font plaisir au lecteur quand il les connaît sans que cela ne les fasse exister. Chaque période nous ramène aux sentiments du personnage, à son engluement dans la vase du Temps comme une sorte de leit-motiv. Voulu, peut-être ? pour évoquer  le lent passage du temps  et l'usure qu'il provoque. Mais cet effet répétitif nuit à l’intérêt du récit. Aussi, je ne suis pas parvenue à rester toujours "accrochée" même si j’ai ressenti de l’admiration pour le style. C’est déjà beaucoup, certes, mais, j’aime bien que l’on me raconte une histoire à laquelle j’adhère complètement et qui m’emporte.  Alors, à vous de lire ! Et vous me direz !


 

Lu pour le Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 



 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 

vendredi 21 octobre 2022

Paco Cerda : Le Pion et Fanny Chiarello, Wendy Delorme : L'évaporée

 


  Le Pion de Pablo Cerda paru aux éditions La contre allée fait partie de la sélection du prix littéraire des avignonnais.

Le 10 Février 1962, Bobby Fisher et Arturo Pomar disputent une partie lors d’un tournoi d’échecs interzonal de Stockholm. L’un est américain, l’autre espagnol. L’un a dix-huit ans, marqué par la pauvreté, ambitieux, l’autre trente et un ans, issu d’un milieu modeste, ancien enfant prodige adulé, déjà résigné, délavé, fini. Tous deux sont des pions, tous deux manipulés par des « rois » qui les mettent en mouvement sur l’échiquier du monde, l’un contre les soviétiques pendant la guerre froide, l’autre par le Caudillo, servant la dictature, tous deux manipulés, puis rejetés quand l’on n’a plus besoin d’eux.  Car, il faut le savoir :  "Un pion n’est pas seulement un pion. Confiné dans ses mouvements par sa condition grégaire, il intègre un camp, il sert un roi, il obéit à une main".

 

Pomar et Fisher : Stockholm

 

Et comme dans toutes les langues le mot pion a la même résonance, celle de l’humilité, Paco Cerda,  tout en relatant cette partie d’échec et la vie de ces deux partenaires, nous raconte l’histoire de tous ces hommes ou femmes qui, aux Etats-Unis ou en Espagne, pendant cette année 1962, ont été des pions voués au sacrifice : "Un pion, seulement un pion. Avec le regard de ton roi sur la nuque. Avec ce dédain souterrain de l’aristocratie de ton camp. L’insignifiance d’une babiole, une bagatelle inscrite dans les gênes."

Ainsi en est-il du pion James Meredith, le premier noir qui a pu a accéder à une université réservée aux blancs grâce à sa volonté, son courage, sa persévérance, son refus de céder à la peur, et de même de tous les américains sacrifiés à la toute puissance des Etats-Unis, à leur volonté de domination sur le monde. Ainsi en est-il de Julien Grimau, dernier mort de la guerre civile, emprisonné puis exécuté pour avoir défendu jusqu’au bout la démocratie, comme le sont tous les espagnols qui ont payé le prix fort, exil, emprisonnement, tortures, assassinats, entre les mains de Franco.

A travers les  histoires que Paco Cerda nous raconte, nous découvrons le poids du déterminisme social, religieux, politique qui font un pion de l’être humain :  "Sachant que les cinq ou six pas à faire pour te défaire de ton pesant destin sont tout un monde quand l’échiquier n’est pas fait à la mesure de tes forces, quand les règles te condamnent au rang de pion, quand les dangers sont à l’affût, démultipliés par les inégalités d’une origine viciée. Tu n’as pas choisi d’être pion.". De toutes les pièces du jeu d'échec, remarque Pablo Cerda, roi, dame, fou, tour, cavalier, seul le pion ne peut changer de trajectoire et ne peut revenir en arrière : " C'est irréversible".

Mais j’aime aussi qu’il nous laisse un espoir en citant en exergue Ezequiel Martinez Estrada : «  Ils sont les jouets du destin, même si, parfois, par ironie, c’est d’eux dont dépend le destin ». Car seuls les pions, remarque Paco Cerda dénotent un esprit de solidarité : « C’est l’éternel idéal de l’union et la force. Le jonc fragile qui, au milieu d’une touffe, ne peut être arraché». C’est ce qui arrive quand les mineurs des Asturies se mettent en grève dénonçant leurs conditions de travail et les salaires de misère entrainant la fermeture de toutes les mines en Espagne ou quand les femmes américaines s’unissent pour exiger l’arrêt des essais nucléaires qui empoisonnent le lait de leurs enfants. Et puis les pions peuvent devenir dames, faible espoir, cependant, pour lequel il faut réaliser de grands sacrifices. Enfin, ce qui rétablit l'équilibre mais c'est une conclusion bien pessimiste, l'auteur partage avec nous un proverbe italien : " A la fin de la partie, le roi et le pion retournent dans la même boîte". Seule la mort égalise les pièces de l'échiquier.

J’aime les écrivains qui savent relier ainsi l’idée philosophique au vécu, à l’histoire des hommes, et qui parviennent à nous impliquer en nous faisant sentir le tragique de la condition humaine. Non pas des personnages désincarnés mais des êtres de sang et de chair. Pablo Cerda est de ceux-là !

J’aurais voulu dire que ce roman était un coup de coeur mais je l’ai trouvé malheureusement trop dense. A force de multiplier les histoires, l’auteur m’a un peu perdue. Même si j'ai beaucoup aimé ce livre, j’ai éprouvé de temps à autre une lassitude et c’est vraiment dommage car cet écrivain - c’est son deuxième roman - a quelque chose d’important à dire sur l'être humain et l'Histoire. Son style est d’une force qui me touche ainsi que sa tendresse et son respect pour les humbles. Donc, malgré cette restriction,  c'est un vrai, beau roman, qui vaut la peine d'être lu.


L'évaporée  de Fanny Chiarello, Wendy Delorme

 


 Juste un mot sur L'évaporée paru aux Éditions Cambourakis. Comme j'ai abandonné la lecture, je me dois d'être rapide pour expliquer pourquoi. 

L'écriture est due à deux écrivaines Fanny Chiarello et Wendy Delorme. Ce sont  des  textes qui se répondent et parlent de la rupture d'un amour, de la souffrance de l'une et de l'autre femme, du manque, de la difficile guérison de celle qui a été abandonnée et de celle qui est partie, qui s'est évaporée. Le roman est bien écrit, l'analyse des sentiments est fouillée, le processus de perte et de résilience décortiquée, mais voilà cela ne m'intéresse pas. C'est trop intellectuel ou plutôt trop cérébral. On dirait que le plaisir de l'analyse prend le pas sur l'humain. On dit de quelqu'un qui parle "qu'il s'écoute parler", que pourrait-on dire de quelqu'un qui écrit ?  Bref! je n'ai  pas ressenti d'émotion. C'est intelligent, presque trop !  Mais je conçois que l'on puisse apprécier ce livre, rien à redire sur sa qualité. D'ailleurs j'ai lu deux critiques positives dans Babelio ICI.


 

Lu pour le Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 



 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.