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lundi 8 janvier 2024

Guy de Maupassant : Le Horla

 


Je viens de relire Le Horla de Maupassant pour accompagner le travail de ma petite-fille après avoir découvert cette nouvelle quand j’avais son âge, après l’avoir étudié avec mes élèves, lu et relu avec chacune de mes trois filles et enfin, vu au théâtre dans un seul en scène (festival off Avignon 2013)  ! Et bien, on le croira ou non, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, un thème différent, un détail qui vous accroche cette fois-ci plus que cette fois-là. C’est le propre des classiques, la richesse et la polyvalence de la lecture !

 Il y a en fait trois versions de l’histoire dont la première s’intitule Le journal d’un fou (1885) et les deux autres, (1886 et 1887) Le Horla. La dernière, celle que dont je parle ici, est présentée sous forme de journal intime. Cette oeuvre est écrite cinq années avant la mort de Maupassant qui, atteint de la syphilis, décède, en 1995, dans la maison psychiatrique du docteur Blanche, le cerveau ravagé par la maladie, en proie à des crises d’angoisse, à de terribles hallucinations, gagné par la folie après avoir tenté de se suicider en 1992.

Maupassant, quand il écrit Le Horla, est déjà atteint de troubles psychiatriques. Son personnage, bien que fictionnel, est donc très proche de lui et ce récit permet d’avoir la description précise,  sous la plume d’un écrivain talentueux, des troubles neurologiques et de leur évolution liés à ce fléau qui touche de nombreux hommes célibataires au XIX siècle. Les jeunes filles ne sont accessibles que par le mariage, enfermées dans des couvents, ou, à défaut, comme le dit Rimbaud, à l'abri «sous l’ombre du faux col effrayant de son père ». Reste la fréquentation des prostituées :  La maison Tellier, maison close de Maupassant reste célèbre !   On pense aussi à Gérard de Nerval qui décrit les troubles psychiatriques engendrés par la syphilis dans Aurélia, cette oeuvre devenue un classique des études de médecine, un passage obligé des étudiants en psychiatrie !

La structure de la nouvelle fantastique
 
 
Le Horla

 

Cette nouvelle  fantastique, le Horla, est  aussi classique par sa structure :  

 Le réalisme :  Dans un cadre réaliste, l’action se déroule du 8 mai au 10 Septembre, en Normandie, sur les bords de Seine, près de Rouen. Le narrateur vit paisiblement dans ce décor idyllique quand il commence à avoir de la fièvre, à se sentir triste, anxieux, à perdre le sommeil, l’appétit… Les détails réalistes créent un décor concret qui rend plus vraisemblable l'apparition du surnaturel et instaure le doute dans l’esprit du lecteur.

Le surnaturel : Ce malaise qui va tourner à l’angoisse est dû à un élément perturbateur, un être invisible qui surveille constamment le narrateur, l’épie, et vient même se coucher sur lui pour l’étrangler ou boire son âme sur ses lèvres ! Une sorte de Vampire  !  
 Le Horla, c’est ainsi qu’il se nomme, en référence, pensent les critiques car Maupassant ne donne pas d’explication, à un mot Normand le Horsain qui signifie l’étranger. Le nom semble désigner celui qui est à la fois Hors et Là, au dehors et au dedans, oxymore décrivant ce double vampirique qui a pris possession du personnage et qui s’efforce de l’effacer.

Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j’accomplis. »

Dès lors le narrateur se demande s’il n’est pas en train de devenir fou et va chercher des preuves de l’existence du Horla pour acquérir la certitude que celui-ci est bien réel : Des preuves ? Il en a et plusieurs ! le Horla boit l’eau et le lait qu’il pose sur sa commode, il tourne les pages d’un livre, il cueille une rose et la déplace, il empêche le miroir de réfléchir l’image du narrateur…
Des preuves de sa folie ? Il en a tout autant ! Ses maux physiques et mentaux ne cessent de s’aggraver, l’anxiété devient angoisse, la peur, épouvante, ses souffrances atteignent un paroxysme : troubles de la personnalité, dédoublement de la personnalité, effacement du moi,  hallucinations, paralysie du sommeil, paranoïa…
La présence du Horla ne cesse de s’affirmer détruisant le narrateur jusqu’à une sorte de crescendo au cours de laquelle la créature domine l’humanité et devient le maître de l’univers.

« Mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et  du boeuf ; sa chose, son serviteur, sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. »

La chute de la nouvelle : L’écrivain a amené le lecteur à douter : il nous a rappelé que nos sens ne sont pas capables de tout saisir. La vue, l’ouïe, l’odorat… nous induisent en erreur. Donc, peut-être Le Horla existe-t-il vraiment puisque l’on ne peut voir l’invisible, sinon pourquoi sévirait-il jusqu’au Brésil selon ce que rapporte la très sérieuse  Revue du Monde scientifique ?  Ou bien, le  narrateur a sombré dans la folie comme semble l’annoncer l’incendie de sa maison  qui entraîne la mort de ses domestiques et la dernière phrase du récit : "Il va donc falloir que je me tue, moi !"

Le doute qui laisse planer le mystère en conclusion donne sa valeur a toute nouvelle fantastique.

 
Les qualités picturales des descriptions

 

La Seine vue sur Rouen

 Quand on lit la nouvelle pour la  première fois, c’est  l’aspect fantastique qui fascine le plus, bien sûr !  Mais il y a tout ce qui nourrit le texte et, en particulier, les qualités picturales de l'oeuvre ! 

Le narrateur vit dans une belle maison sur le bord de la Seine, près de Rouen «  la grande  et large Seine  qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux » qui passent devant la maison du narrateur composent un tableau riant et paisible de la Normandie.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques…. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées…
semblable à un tableau de Monet.


Le voyage au Mont Saint Michel qui arrache le personnage à la peur et la folie  est le prétexte à une  magnifique description de l’abbaye que Maupassant fait surgir au milieu de « cette baie démesurée » » « entre deux côtes écartées se perdant dans la brume » « sur l’horizon encore flamboyant » du soleil couchant  « le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. »

Du crépuscule à l’aurore,  la  vision lointaine se rapproche ensuite jusqu’aux détails :  « j’entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées. »
Diffusion de la lumière comme dans un tableau impressionniste, contrastes de couleurs, beauté plastique des formes, nous ressentons comme un apaisement cet intermède de beauté qui permet au narrateur d’échapper à l’horreur du Horla.

J’ai aimé aussi ce récit dans le récit  pendant lequel le moine compte au personnage les légendes du pays ou lorsqu’il lui explique que nous pouvons être trompés par nos sens en lui donnant comme exemple le vent

« Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, détruit les falaises et jette aux brisants les grands navire, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

 

 

Mais c'est par une seule phrase que Maupassant convoque, avec Bougival, ce lieu de divertissements populaires, guinguette, bal, canotage (on sait que Maupassant en est adepte),  non loin de Paris,  tous les peintres impressionnistes et c'est grâce à l'évocation de la fête et des plaisirs que le narrateur du Horla pense tenir la créature maléfique éloignée.

 

Auguste Renoir : Le Bal de Bougival

Auguste Renoir : Le déjeuner des canotiers

 

"J’ai été dîner à Bougival, puis j’ai passé la soirée au bal des canotiers... Croire au surnaturel dans l’île de la Grenouillère serait le comble de la folie."


Monet : La Grenouillère
Auguste Renoir : La Grenouillère


 
Canotage  : Berthe Morizot
 

Canotage :  Edouard Manet/ Gustave Caillebotte

 

Le théâtre est aussi un lieu où oublier la peur . Ainsi le personnage  se rend  à la Comédie française où l’on joue un pièce d’Alexandre Dumas fils et il assiste à la fête de la République le 14 juillet, « Les pétards et les drapeaux m’amusaient comme un enfant."

 

Claude Monet : le 14 juillet

La fête nationale est d'ailleurs prétexte à un monologue pessimiste sur la sottise la nature humaine, que ce soit de la part du peuple,  "un troupeau imbécile" "on lui dit : «  amuse-toi ! ».  Il s’amuse" et "ceux qui dirigent sont de sots, ils obéissent à des principes qui ne peuvent être que niais... ».

 

Le XIX siècle, le siècle des sciences

L'influence de Mesmer (1730_1815)


La nouvelle traite aussi des préoccupations scientifiques de l’époque de Maupassant. Et pour justifier sa croyance dans des forces invisibles qui échapperaient à l’homme et ne seraient donc pas de l’ordre du surnaturel  le narrateur s’appuie sur  les théories de Mesmer,  médecin allemand qui soignait ses patients grâce à un « fluide animal » appelé magnétisme ou mesmérisme. Il fait allusion aussi  aux pratiques des  médecins de l’école de Nancy ou école de la suggestion, Hyppolite Berheim et Ambroise Liébeault,  que Maupassant connaissait et qui utilisaient l’hypnose pour guérir l’hystérie.
La thérapie de l'hypnose encore très mal définie par les  médecins eux-mêmes a donné lieu à des controverses entre l’école de Nancy et Charcot, de la Salpétrière. Elle  est encore plus mal connue du grand public pour qui ces pratiques  flirtent avec l’occultisme et le spiritisme dans le désir de faire parler les morts.

Depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. (…) De là, sont nées les croyances populaires au surnaturel, la légende des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles vous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image mais l’homme le lui a bien rendu ». « Mais depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur la une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »

Ainsi dans Le Horla, le narrateur assiste à une séance d’hypnose au cours de laquelle sa cousine, hypnotisée, accomplit des actes qui lui ont été dictés par le praticien, sans que sa volonté soit sollicitée. Or, la conclusion du narrateur est que Mesmer  et ses successeurs, en jouant sur la faculté d'intervenir  par l'hypnose sur le psychisme de l'être humain, sont responsables de la montée en puissance du Horla,  ce « Seigneur » qui dominera le Monde.

"Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau (le Horla), la domination d’un mystérieux vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela magnétisme, hypnotisme, suggestion... Que sais-je ?  Je les ai vus s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance ! Malheur à nous ! Malheur à l’homme !"

La nouvelle annonce donc la fin de l'être humain ! 





mercredi 23 mars 2016

Guy de Maupassant : Coco, nouvelle du recueil Contes du jour et de la nuit


J’ai retrouvé des notes que j’avais prises à propos d’une nouvelle de Maupassant : Coco extraite des Contes du jour et de la nuit parue en 1884. Cela m’a donné envie de relire ce texte que j’ai toujours trouvé cruel et qui révèle le pessimisme profond de Maupassant vis à vis de l’humanité.

Henri de Toulouse-Lautrec (1881) cheval blanc Gazelle
Toulouse-Lautrec (1881)

Coco est un cheval blanc que sa maîtresse garde malgré sa vieillesse parce qu’il lui rappelle des souvenirs. Elle confie le soin de l’animal à un goujat (valet) de quinze ans, Isidore Duval dit Zidore. Celui-ci conçoit une forte aversion pour Coco à qui il reproche sa laideur, son âge et son inutilité. Il ne supporte pas qu’il lui attire les moqueries des garnements du village. Il décide de se venger du vieux cheval et le laisse mourir de faim en l’empêchant d’atteindre l’herbe verte presque à sa portée. La pauvre bête va dépérir peu à peu.
Maupassant décrit ici l’angoisse de la vieillesse liée à la décrépitude, à la solitude et à l’abandon. Pendant toute la nouvelle la mort plane autour du cheval, la mort qui hante l’écrivain en proie depuis 1884 à des hallucinations, lui qui mène un combat contre la folie. Parallèlement, il s’intéresse à l’exploration de l’âme primitive du valet révélant au lecteur ce qui, dans l’être humain, est au niveau de la bête.

Le cheval blanc de Rosa Bonheur 1879 collection privée
Le cheval blanc de Rosa Bonheur

La confrontation entre le goujat et le cheval est hallucinante d’autant plus que l’on connaît l’issue fatale, la victime ne pouvant lutter contre son tourmenteur. Il s’agit presque d’un huis-clos car le Isidore a pris soin d’amener le cheval « là-bas », dans « la ravine », « derrière le bois » toujours plus loin, dans un endroit où personne ne passe jamais. Ce face à face met en présence deux êtres qui se ressemblent physiquement et qui sont pourtant chacun le contraire de ce qu’ils paraissent car l’animal est humain et l’homme est bestial.
 Le vieux cheval, en effet, perclus, aux genoux gonflés, a une apparence humaine avec ses poils emmêlés qui ressemblent à des cheveux et ses yeux tristes. Cette description humanise l’animal, procédé déjà employé  par Maupassant dans La Peur à des fins fantastiques alors qu’il a, ici, une valeur symbolique : Il permet de mieux saisir le drame de la vieillesse impuissante, exclue de la société mais affreusement consciente et lucide.

Adriaen  Brouwer  paysan endormi
Adriaen  Brouwer  peintre flamand

Le goujat aux « cheveux épais et durs et hérissés » , peu doué pour la parole, avec « son âme épaisse et brute » est plus proche, lui, de  l’état de bête que de l’humain. Maupassant emploie ce terme de goujat intentionnellement. S’il n’a pas encore  la nuance qu’il possède de nos jours : « Homme manquant de savoir-vivre et d’humanité », il a évolué de son sens ancien « valet d’armée », au sens de « valet, subalterne » et a pris déjà au XIX siècle une coloration nettement péjorative.
Le garçon, en effet, est un être frustre et brutal qui ne conçoit les relations avec les autres qu’en terme d’utilité : « pourquoi nourrir ce cheval qui ne faisait plus rien ». Il est aussi le reflet du pessimisme de Maupassant qui nous montre une humanité semblable , en cela, aux civilisations « du cocotier » où le vieillard inutile, relégué et méprisé n’a plus qu’à attendre la mort.
Pis encore Zidore fait durer le plaisir : « il savoure sa vengeance », éloignant d’abord l’animal de la ferme, puis l’attachant solidement hors de portée de l’herbe, prenant goût au raffinement de la vengeance, à la torture par l'espérance : « même il fit mine de le changer de place », substituant à la souffrance physique (les coups), la souffrance morale plus exaltante pour le bourreau. La mise à mort se fait par étapes, rythmée par ces trois mots introduisant une gradation  : « la vieille rosse/ La misérable rosse/ la carcasse. Quant à l'action, elle se déroule en trois jours, comme une division en actes dans une tragédie dont le rythme s'accélère crescendo de la première à la dernière partie beaucoup plus brève. Le goujat jouit de la souffrance de sa victime avec sadisme, car ce n’est pas seulement la mort du cheval qu’il souhaite. Il cherche aussi à affirmer son pouvoir, lui qui n’est rien dans cette ferme, qui est peu considéré et subit des humiliations quotidiennes. 

Maupassant a saisi avec une lucidité amère les ressorts intérieurs qui peuvent transformer les hommes en bourreaux. La déshumanisation du valet apparaît complète : à la fin du récit, il s’assoit sur sa victime comme prenant possession du vaincu et l'humiliant au-delà de la mort  puis il «  resta là les yeux fixés dans l’herbe sans penser à rien ». Ces mots de conclusion donnent la mesure du pessimisme de Maupassant car le plus terrible, en effet, n’est-ce pas ce manque d'empathie, cette insensibilité à la souffrance d’autrui, cette sottise apathique qui font un monstre d’un être humain? Je pense aux écrivains comme Semprun, Merle, Lévi, qui ont tous souligné ces traits caractéristiques dans la description des bourreaux des camps de concentration. Car bien évidemment le conte de Maupassant dépasse l'anecdote d'un valet torturant un animal, il décrit les rapports de domination entre les hommes et la négation de toute morale.

lundi 5 août 2013

Festival Off d'Avignon 2013 : Le Horla de Maupassant mis en scène de Slimane Kacioui avec Florent Aumaitre




Théâtre du roi René : Le Horla de Maupassant au festival off d'Avignon mis en scène par Slimane Kacioui, interprété par Florent Aumaitre, par Les créations d'aujourd'hui.

Je viens juste de lire La maison du docteur Blanche de Laure Murat.  C'est pourquoi j'ai eu envie d'assister à ce spectacle sur une oeuvre que je connais bien. Dans cette clinique psychiatrique, Guy de  Maupassant a fini sa vie dans des souffrances inouïes, le corps paralysé, le cerveau peu à peu détruit par la maladie. La syphilis a cette époque faisait des ravages sans qu'on ait encore vraiment établi le lien entre cette maladie et les conséquences terribles qu'elle entraînait.

 Le Horla est une nouvelle fascinante où  Guy de Maupassant étudie et analyse avec minutie l'emprise de la folie sur son personnage, les rémissions suivies par de violentes attaques qui détruisent peu à peu le cerveau. Le jeune homme en proie à ces crises croit percevoir une sorte d'entité invisible, effrayante, monstrueuse, Le Horla,  qui rôde autour de lui,  le guette sans cesse, le traque, et s'assoit sur sa poitrine pour mieux l'étouffer. Le Horla finira par avoir raison de lui. Ce conte comme de nombreux autres prouve la fascination que la folie exerçait sur l'écrivain comme une anticipation de sa propre  fin. Il n'est pas étonnant que les psychiatres en est fait un objet d'étude clinique. Mais au-delà,  il s'agit  d'une très belle oeuvre littéraire, au style parfaitement maîtrisé,  qui joue sur la frontière entre réalité et fantastique.

Une mise en scène minimaliste nous place nécessairement dans un huis-clos, l'intérieur de la maison, lieu d'internement, qui reflète ce qui se passe à l'intérieur du personnage, de son cerveau dérangé. Une chaise et c'est tout!  La représentation du Horla joue essentiellement sur l'interprétation.  Seul le texte nous présente l'extérieur que l'acteur Florent Aumaitre a le don de faire vivre pour nous : ce qu'il voit le paysage qui s'étale devant ses yeux ou ce qu'il a vu quand il parvient à s'échapper comme si l'extérieur - où le Horla ne peut le suivre- était un lieu de guérison.
C'est aussi au comédien de nous montrer les attaques de panique, la progression de la maladie, la prise de possession par le Horla de l'esprit et du corps du malade.  Le comédien possède bien son texte, le dit très bien et sait nous tenir en haleine! Mais... j'ai malgré tout eu l'impression que la gradation n'était pas assez nettement marquée, la tension psychologique ne nous amène pas à un paroxysme insupportable et  l'émotion ne surgit pas! En bref, une bon spectacle auquel il manque un petit quelque chose pour faire vibrer le spectateur.


Challenge chez Eimelle

Challenge l'ogresse de Paris

dimanche 9 décembre 2012

Un livre/Un film : La maison Tellier, Le masque, Le modèle, de Guy de Maupassant




Résultat de l'énigme n°51
Bravo à : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Gwen, Keisha,  Maggie, Miriam, Pierrot Bâton

Les trois nouvelles de Maupassant : Le masque; La Maison Tellier;  Le modèle
le film : Le Plaisir de Max Olphus



Les trois nouvelles de Maupassant réunies dans Le plaisir de Max Ophuls sont Le masque, La maison Tellier et le Modèle. Ophuls rejoint Maupassant dans les thèmes qu'il traite : Refus de vieillir, étourdissement dans le plaisir, critique sociale des bourgeois et des paysans dans leur vénération de l'argent, symbole de réussite… Mais le réalisateur se rapproche aussi de Pascal. L'influence pascalienne se fait sentir dans cette recherche du plaisir  par les personnages du film.  Puisque l'homme ne peut oublier sa condition de créature fragile, vouée au vieillissement et à la mort, il cherche à détourner son esprit de ce qui le peine, l'angoisse. C'est un comportement d'évitement. Pascal parle de divertissement! C'est pourquoi le cinéaste choisit de commencer par Le masque pour finir par Le Modèle. (voir Wens)

Le masque est l'histoire de cette homme, ancien séducteur, qui refuse de vieillir et court de bal en bal, portant sur ses traits vieillis le masque de la jeunesse. Hélas! Il a beau chercher à s'étourdir, il n'échappe pas à ce qu'il fuit, la vieillesse, la déchéance du corps et la mort semble guetter ce danseur effréné qui cherche à oublier son âge.

  

 La maison Tellier  montre aussi la vaine agitation des hommes qui cherchent dans la maison close un échappatoire. Les clients aussi bien que les filles peuvent s'étourdir dans le bal, la boisson et le sexe, ils restent tous prisonniers de leur condition.





Dans Le modèle, Max Ophuls trouve une réponse (pessimiste) à ses interrogations. Le peintre qui pousse sa femme dans un fauteuil roulant ( son ancien modèle devenue infirme par amour pour lui) ne cherche pas à fuir dans le plaisir et regarde en face la réalité. C'est peut-être cela le bonheur même s'il n'est pas gai?



                                                                     La Maison Tellier

Dans sa nouvelle La Maison Tellier, Maupassant, en client régulier, a dépeint avec talent le monde  des maisons closes et des prostituées (Boule de Suif, Yvette).
Un samedi soir à Fecamp, petit port de pêche normand, les bourgeois, clients habituels de la Maison Tellier, le bordel du lieu,  trouvent porte close. Ils sont désespérés, Madame a amené sa petite troupe de filles de joie assister à la communion de sa nièce dans l'arrière-pays, chez son frère artisan- menuisier.  Dans le village, l'arrivée de ces dames de la ville, qui font commerce de leur corps, ne choque pas les paysans. Car pour eux, tenir une maison close ou une épicerie est comparable, l'important c'est que le commerce soit rentable. Les pensionnaires de la maison close, sorties de leur univers urbain et calfeutré, sont émues par le silence et la beauté de la campagne. Lors de la cérémonie religieuse, les demoiselles de petite vertu pleurent à chaudes larmes et deviennent des nouvelles Marie-Madeleine au pied de Jésus-Christ. Leurs larmes sincères et bruyantes sont bientôt partagées par les braves paroissiens et leur curé. Après le repas de communion, vient le temps du retour. Il n'est pas question de fermer la maisonnée de  Fécamp. Les affaires sont les affaires et les notables, célibataires ou mariés, attendent avec impatience le retour de ces dames.
Maupasssant est un observateur critique et ironique de sa société. Sa principale cible est la bourgeoisie et les propriétaires terriens qui n'envisagent le monde que sur le plan de la rentabilité, tout s'achète et se vend. La respectabilité est une affaire de richesse sous le regard bienveillant de l'Eglise catholique. A travers eux, l'écrivain fustige l'hypocrisie de ces classes sociales. Si Maupassant se moque des prostituées, c'est toujours avec une certaine tendresse. Enfermées dans le bordel, comme les oiseaux dans une cage, elles n'ont qu'une fois de temps en temps la possibilité de montrer leurs sentiments.
Une nouvelle bien cruelle où Maupassant est excellent!

dimanche 19 février 2012

Un livre/ Un film : Réponse à l'énigme N°22 Maupassant, Boule de Suif





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Le prix Maupassant-Ford est attribué à  : Aifelle, Eeguab,  Jeneen,  Keisha,  Lystig,   Nanou,  Somaja
Le prix Maupassant à Maggie. Merci à tous les participant(e)s.

Le livre : Boule de Suif de Guy de Maupassant
Le film : La chevauchée fantastique de John Ford





 Guy de Maupassant appartenait au groupe des écrivains naturalistes qui se réunissaient à Médan, dans la propriété d'Emile Zola. Tous s'engagèrent à écrire une nouvelle ayant pour sujet la guerre pour un recueil collectif. Boule de Suif fut écrit en 1879 et publié dans le recueil : Les soirées de Médan en 1880. Cette nouvelle, peut-être l'une des meilleures de l'écrivain, assura la notoriété de Maupassant dans le monde des Lettres.


Guy Maupassant place l'action de Boule de Suif  à Rouen envahi par les Prussiens pendant la guerre de 1870-71. Pour échapper à l'occupation, dix personnes de milieux sociaux différents - dont une jeune prostituée, Elizabeth Rousset, surnommée Boule de Suif - se retrouvent, enfermés dans une diligence qui doit les amener jusqu'au Havre. Mais lors d'une halte dans un relais, un officier prussien donne l'ordre de retenir la voiture, avec tous ses passagers, si Boule de Suif refuse de coucher avec lui. Celle-ci, très patriote, blessée dans ses sentiments, refuse. Chaque membre de la "bonne société" va faire alors en sorte de la pousser dans les bras de l'ennemi. Mais lorsqu'elle s'exécute et que la diligence repart, elle est en butte au mépris de ces vertueux voyageurs qui ne veulent plus lui adresser la parole et refuse de partager leur repas avec elle.

Dans cette nouvelle Guy de Maupassant va se faire le petit plaisir de réunir dans un huis-clos, une diligence, tous les représentants de la société française. Il place la voiture dans un milieu hostile, la neige, les congères qui empêchent d'avancer, le froid, la guerre qui dévaste les campagnes et prive les voyageurs de nourriture, les soldats ennemis qui entretiennent la peur et prolongent le face-à face. En effet, quel autre lieu aurait pu réunir en ces temps de guerre, Mr L'Oiseau, négociant en vin, et son épouse, Mr Carré-Lamadon, propriétaire de trois filatures, et sa jeune femme, le comte et la comtesse de Bréville, deux bonnes soeurs, un Républicain démocrate et une prostituée. Un éventail complet de la société qu'il attaque d'une plume féroce. Personne n'est épargné même si, in finale, la prostituée se révèle la plus sympathique et la plus honnête!


 LES BOURGEOIS

Avant  de les réunir dans même un lieu, Maupassant avait exercé sa vindicte sur les bourgeois normands "bedonnants, émasculés par le commerce" qui laissent l'ennemi entrer dans Rouen sans réagir. Il fustige leur lâcheté mais aussi leur hypocrisie quand il pactise avec les prussiens à condition que ce ne soit pas en public.
. Et pourquoi blesser quelqu'un dont on dépendait tout à fait? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la témérité. - Et la témérité n'est plus un défaut des bourgeois de Rouen, comme au temps des défenses héroïques où s'illustra leur cité. - On se disait enfin, raison suprême tirée de l'urbanité française, qu'il demeurait bien permis d'être poli dans son intérieur pourvu qu'on ne se montrât pas familier, en public, avec le soldat étranger.
En fait, la seule chose capable de toucher les bourgeois, de les émouvoir sincèrement, c'est lorsque l'on s'attaque à leur argent.
Les vainqueurs exigeaient de l'argent, beaucoup d'argent. Les habitants payaient toujours; ils étaient riches d'ailleurs. Mais plus un négociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu'il voit passer aux mains d'un autre.

Les bourgeois qui voyagent dans la voiture sont les dignes représentants de cette classe. Monsieur Loiseau est un filou qui vend ses mauvais vins à l'armée française, de plus il aime les plaisanteries salaces et se montre volontiers grivois devant les dames.
De taille exiguë, il présentait un ventre en ballon surmonté d'une face rougeaude entre deux favoris grisonnants.
Madame Loiseau est encore plus avare que lui et souffre dès qu'il est question de dépenser de l'argent.
Monsieur Carre-Lamadon, "homme considérable", est un fieffé coquin qui a compris que la politique devait lui rapporter :
 Il était resté, tout le temps de l'Empire, chef de l'opposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement à la cause qu'il combattait avec des armes courtoises, selon sa propre expression.
Quant à sa femme, elle aime beaucoup (trop?) les militaires et l'on croit comprendre, qu'à la place de Boule de Suif, elle n'aurait pas fait la fine bouche devant le bel officier prussien.

LA NOBLESSE
Le comte et la comtesse de Bredeville sont aussi passés à la moulinette par un Maupassant en forme et brillant qui  montre avec ironie sur quoi reposent la suffisance et la prétendue supériorité de leur famille. Monsieur se vante de ressembler à Henri IV qui "avait rendu grosse une dame de Bréville, dont le mari, pour ce fait, était devenu comte et gouverneur de province.". Quant à madame, qui n'est pas d'origine noble, elle est très bien accueillie parce qu'elle a été "aimée par un des fils de Louis-Philippe". Autrement dit ces messieurs de la noblesse ont eu la bonne fortune d'être "cocufiés" par plus grands qu'eux et en ont retiré des bénéfices!

Ces  nobles et ces bourgeois que tout pourrait opposer vont pactiser car il sont tous les représentants du pouvoir conféré par l'argent : Ces six personnes formaient le fond de la voiture, le côté de la société rentée, sereine et forte, des honnêtes gens autorisés qui ont de la religion et des principes.

LA RELIGION
La religion est représentée par les deux soeurs qui égrenaient de longs chapelets en marmottant des Pater et des Ave. L'une était vieille avec une face défoncée par la petite vérole comme si elle eût reçu à bout portant une bordée de mitraille en pleine figure. L'autre, très chétive, avait une tête jolie et maladive sur une poitrine de phtisique rongée par cette foi dévorante qui fait les martyrs et les illuminés.
Jusqu'ici le trait est caricatural mais les religieuses restent en retrait et sont réservées. Le trait satirique se durcit quand il s'agit de persuader Boule de Suif de céder au commandant prussien. Lorsqu'on lui demande son avis, la plus âgée des soeurs va trouver  des arguments :
Alors, soit par une de ces ententes tacites, de ces complaisances voilées, où excelle quiconque porte un habit ecclésiastique, soit simplement par l'effet d'une inintelligence heureuse, d'une secourable bêtise, la vieille religieuse apporta à la conspiration un formidable appui.
Le trait satirique va très loin. Maupassant souligne qu'il ne s'agit pas du comportement propre à un seul individu mais à tous les gens d'église : "quiconque porte un habit ecclésiastique". D'autre part, la soeur à le choix entre la "inintelligence heureuse" (j'adore la formule!)  et la "complaisance voilée"!On voit que les soeurs n'échappent pas à l'hypocrisie générale et elles se comporteront par la suite avec autant de dureté, oubliant ce qu'est la charité chrétienne, laissant Boule de Suif sans repas, bouleversée, détruite par l'opprobre générale..

LE PEUPLE
Les deux personnes du peuple qui voyagent dans la diligence et que les autres considèrent avec suspicion et mépris sont-ils mieux traités par l'écrivain?
Voyons ce qu'il en est du démocrate, Cornudet, que Maupassant appelle le démoc, (le terme est déjà en lui-même méprisant), homme du peuple qui  a "mangé" la fortune héritée de son père", non pas en l'utilisant pour une cause noble mais en buvant, dans les "cafés démocratiques". (Appréciez l'alliance des mots!) On s'aperçoit vite que ses idées révolutionnaires ne sont que des paroles vaines. Cornudet est un poivrot qui n'agit pas, il reste passif et la langue acerbe de l'écrivain ne l'épargne pas plus que les autres :
...il attendait impatiemment la République pour obtenir enfin la place méritée par tant de consommations révolutionnaires.


 Un film de Christian-Jaque
 Le portrait  physique  d'Elizabeth Rousset, dite Boule de Suif est aussi caricatural Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses... mais l'on s'aperçoit vite que la sympathie de l'auteur lui est acquise.
C'est la seule qui ait tenu tête à l'ennemi et soit obligée de partir pour se soustraire aux ennuis que lui a causé son attitude patriotique. Pour les mêmes raisons, elle refuse de céder au commandant prussien et lorsqu'elle le fait sous la pression des autres, c'est pour elle un sacrifice. D'ailleurs, elle sent honteuse et souillée. De plus, c'est la seule à montrer de la générosité. Elle partage son déjeuner quand les autres voyageurs ont faim alors que ceux-ci refusent de lui parler et de lui donner à manger. A travers ces deux repas pris dans la diligence, le premier où elle offre ses provisions et le deuxième où les autres lui refusent les leurs, se dessinent toute l'hypocrisie des classes sociales supérieures, la cruauté et la bassesse. On sent l'écoeurement de Maupassant, son mépris. Même le prétendu démocrate, Cornudet, n'est pas en reste, qui chante la Marseillaise pour narguer la pauvre fille et la torturer plus longtemps encore que les autres. Il est vrai que ce faisant, il irrite aussi ses compagnons de voyage et se venge de leur dédain.



LA GUERRE

Le thème de la guerre est omniprésent puisque c'est à travers cette situation tragique qui bouleverse le pays que se révèle le caractère de chacun.
Et d'abord le comportement de l'armée française en guenilles, sans drapeau, ni régiment et de la garde nationale qui fusille ses propres sentinelles et " se préparant au combat quand un petit lapin remuait dans les broussailles" et qui disparaît quand l'ennemis arrive. Rodomontade, fanfaronnade, désordre, lâcheté, voilà le comportement de ceux qui sont chargés de la défense du pays.

La suite avec l'occupation allemande est une description qui nous rappelle ce qui s'est passé dans notre pays dans un passé beaucoup moins lointain

La collaboration 
La seule qui refuse la collaboration est Boule de Suif. Elle a des provisions chez elle et aurait pu nourrir des soldats chez elle mais elle ne peut pas supporter cette honte. Alors que tous les autres accueillent les prussiens à leur table et leur font  fait bonne figure
Dans beaucoup de familles, l'officier prussien mangeait à table. Il était parfois bien élevé, et, par politesse, plaignait la France, disait sa répugnance en prenant part à cette guerre. On lui était reconnaissant de ce sentiment; puis on pouvait, un jour ou l'autre, avoir besoin de sa protection.
La résistance
Mais la résistance existe qui est le fait de groupe ou d'individu isolé. Les pêcheurs ou les mariniers retrouvent parfois le cadavre d'un allemand :
Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.

La critique de la guerre 
La critique de la guerre est menée par les gens du peuple, les paysans en particulier.Une vieille femme constate que c'est mal de tuer son prochain mais que, pendant la guerre, on accorde le plus de médailles à celui qui en tue le plus :
"Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais cela!"
et tous de conclure que ce sont les pauvres gens qui souffrent  toujours le plus quelque soit leur origine, leur pays : ainsi  le soldats prussiens ça ne les amuse pas, la guerre, allez ! Je suis sûr qu'on pleure bien aussi là-bas après les hommes; et ça fournira une fameuse misère chez eux comme chez nous.
ET finalement tous désignent les mêmes coupables  : : "C'est les grands qui font la guerre. »" et ils se demandent si l'on ne devrait pas plutôt tuer tous les rois qui font ça pour leur plaisir ? »

Boule de Suif est une nouvelle extrêmement lucide et sans concession sur la société. Elle est écrite dans une langue très pure, très sobre qui fait ressortir l'ironie mordante de Maupassant avec plus d'acuité. Les descriptions de la neige, du pays gris et désert, sont très belles et servent de cadre désolé au drame qui se joue dans cet environnement hostile.
Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre; il effaçait les formes, poudrait les choses d'une mousse de glace; et l'on n'entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l'hiver, que ce froissement vague, innommable et flottant de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremêlement d'atomes légers qui semblaient emplir l'espace, couvrir le monde.
Ces "gredins honnêtes", comme les nomme Maupassant, représentent une société haïssable qui n'a aucune morale mais qui se targue d'appartenir à la "bonne société", ce qui leur assure quoiqu'ils fassent - vols, escroqueries, mensonges, adultères, lâcheté, cruauté, hypocrisie, vulgarité, égoïsme, avarice - le respect de leurs pairs et le droit de piétiner ceux qui leur sont inférieurs par le rang.

John Ford  : une transposition du film dans l'ouest américain

 Ringo (John Ford) et Dallas (Claire Trevor) dans La chevauchée fantastique

 Chez Ford, dans La chevauchée fantastique, le huis-clos de la diligence révèle aussi la vérité de chacun.  On est au lendemain de la guerre de Sécession et pendant les guerres indiennes. Voir Wens

Les personnages  ne sont pas aussi noirs que ceux de Maupassant à part, peut-être, l'un d'entre eux.

La prostituée Dallas est expulsée de la ville par le shérif sous  l'impulsion de La ligue de vertu.  Elle se révèlera humaine et chaleureuse.  Elle se montrer compétente et courageuse pendant l'accouchement et l'attaque. C'est un personnage d'une grande valeur intérieure.

La jeune femme Mrs Mallory qui va accoucher est femme d'officier venue rejoindre son mari en garnison.  Elle appartient à la bonne société, a des manières aristocratiques.  Elle n'a rien de commun avec Dallas mais elle est lui reconnaissante de lui venir en aide même si elle ne peut se lier d'amitié avec elle. C'est la seule que le voyage ne ne change pas.

Ringo est une jeune cow boy, simple, naïf, qui s'est échappé d'un pénitencier pour tuer les meurtriers de son frère. C'est un être qui n'est pas corrompu, ce qui lui permet de comprendre la véritable nature de  Dallas et de l'aimer.

Le shérif Curly Wilcox, un homme bourru,  doit surveiller Ringo mais il le protège car il  sait qu'il n'est pas de taille à lutter contre les tueurs.

Hatfield, ancien officier sudiste, est devenu joueur professionnel.  Malgré ses défauts, il se comporte avec courage.

le docteur est un ivrogne. Les horreurs de la guerre de Sécession l'ont poussé à boire. Mais il va se retrouver  lorsqu'il doit faire naître le bébé.

Le palefrenier Peacock est simple d'esprit, il est poltron mais il se montre à la hauteur pendant l'accouchement et l'attaque des indiens.

 Le banquier Gatewood, un arriviste,  fuit la ville avec l'argent de la banque. Il veut abandonner la jeune femme enceinte au moment de l'accouchement. C'est le personnage le plus abject de tous, celui que Ford n'aime pas.

 John Ford est plus optimiste que Maupassant, il a une vision confiante dans la nature humaine si bien que la charge sociale est édulcorée par rapport à la nouvelle. Les hommes et les femmes peuvent avoir des défauts mais ils ne sont pas entièrement mauvais. Ils vont se sentir concernés par la naissance de l'enfant qui représente l'espoir et être régénérés par les épreuves qu'ils ont vécues.

dimanche 2 octobre 2011

Un livre, un film: Réponse à l'énigme (4) Maupassant, Une partie de campagne


Les réponses à l'énigme n°4 :
La nouvelle :  Guy de Maupassant  Une partie de campagne
Le film : Jean Renoir, Partie de campagne ; actrice Sylvia Bataille épouse de l'écrivain Georges Bataille.
Merci à tous d'avoir participé et félicitations à tous les lecteurs et cinéphiles perspicaces :  Aifelle, Maggie, Keisha,  Eeguab, Miriam, Dominique, Jeneen, Cagire,  Gwenaelle,  Mireille, Nanou.




La nouvelle intitulée Une partie de Campagne de Maupassant est parue dans le recueil La Maison Tellier  en 1881. Avant cette date, Maupassant s'était déjà fait connaître  par  Boule de Suif paru dans un recueil collectif Les Soirées de Médan réunissant les nouvelles de plusieurs jeunes écrivains regroupés autour d'Emile Zola, chef de file du Naturalisme. Ce mouvement littéraire qui est une évolution du Réalisme dont Flaubert, ami et Maître vénéré de Maupassant, est le plus illustre représentant, tend à appliquer à la littérature, à l'étude des moeurs, à l'analyse psychologique, les méthodes des sciences expérimentales et humaines dans un siècle qui exalte les progrès de la science. D'après Zola, en effet, "le romancier est fait d'un d'observateur et d'un expérimentateur".  Ainsi avec les Rougon Macquart, il choisit d'étudier à travers les grandeurs et les vicissitudes d'un famille les effets de l'hérédité, ici  l'alcoolisme, sur les différents membres de la famille. Quant à Maupassant,  il ne va pas aussi loin que Zola dans cette application des lois de la nature au roman. Pour lui, le romancier doit proposer une vision personnelle de la réalité choisie selon son tempérament : «Les grands artistes sont ceux qui imposent à l’humanité leur illusion particulière.» (Préface de Pierre et Jean)

Dans, Une partie de campagne, une modeste famille de commerçants parisiens va passer une journée à la campagne pour la fête de Pétronille Dufour. Outre madame Dufour, les membres de la famille sont Monsieur Dufour et son employé, la grand mère et la jeune fille Henriette. A l'auberge où ils vont déjeuner, ils font la connaissance de deux jeunes gens de bonne famille, canotiers, qui invitent les dames à une promenade sur l'eau, en se débarrassant habilement des deux hommes. Si l'un d'entre eux se dévoue et prend la mère, l'autre, Henri, parvient à ses fins avec Henriette. Mais cet acte de séduction commencé comme un jeu de la part d'Henri les marquera toute leur vie.

 La nature chez  Guy de Maupassant et Jean  Renoir

Auguste Renoir

Chez Jean Renoir le sentiment de la nature poétique, exaltante, sensuelle, vécue comme un renouveau est partout, dans les images de l'eau, les jeux de lumière, les bêtes les plus humbles, le chant du rossignol.  Les images qui rappellent chacune un tableau d'Auguste Renoir magnifient le paysage.  En est-il de même dans le livre?
La nature joue, bien sûr, un grand rôle dans la nouvelle mais très différent de celui du film. Certes la nature s'oppose à la ville comme nous le voyons dans le passage que j'ai choisi pour présenter l'énigme et qui est un point de départ pour comprendre ce qu'est la Nature pour Maupassant.
Cette opposition, on le voit, porte sur tous les sens. Aux odeurs de schiste et de pétrole, aux miasmes, renforcé par les adjectifs putride, puante, répond l'air pur de la campagne qui est un rafraîchissement bienfaisant, à la fumée noire des cheminées d'usine s'oppose la buée pompée par le soleil, l'éclat de la lumière, aux squelettes des bâtiments, correspond le ravissement, à la lèpre, la santé  : respirer enfin un air pur. Bref! A la mort répond la vie!
C'est ainsi que Maupassant voit la nature et lui-même profitait pleinement de ses bienfaits puisqu'il venait canoter chaque semaine, prenait alors une chambre à la campagne pour fuir Paris et son travail de bureau au Ministère. Il était rompu aux exercices physiques, très fier de ses exploits sportifs et sexuels car ses parties de canotage en joyeuse compagnie allaient de pair avec ses conquêtes féminines.  Nul doute qu'il est l'un des deux canotiers de la nouvelle! 
Par contre l'écrivain a horreur du sentiment romantique de la Nature et il  se moque volontiers de cet amour bête de la nature qui les (les bourgeois) hante toute l'année derrière le comptoir de leur boutique.  Dans la nature, les hommes,  Mr Dufour et son apprenti ne pensent qu'à manger et boire; ce sont tous les deux des pochards; quand ils s'essaient aux anneaux, ils sont lourds et flasques et n'arrivent pas à s'enlever.  Ce sont là leurs seules activités physiques. Quant à leurs prouesses sexuelles,  il suffit de leur donner des cannes pour pêcher du goujon, cet idéal de boutiquier, pour qu'ils laissent partir l'un son épouse, l'autre sa promise, sans même se douter qu'ils vont se faire cocufier.
 Pour les femmes, la nature est  un piège car elle les invite à la sensualité et réveille leurs sens : 
Un besoin de vague jouissance, de fermentation du sang parcourait sa chair excitée par les ardeurs du jour.Le rossignol, par exemple, est là pour faire tomber Henriette dans les filets du jeune homme car elle est trop sotte pour se rendre compte que celui-ci profite de l'attendrissement de la jeune fille pour parvenir à ses fins.
Un rossignol, elle n'en avait jamais entendu, et l'idée d'en écouter un fit lever dans son coeur la vision des poétiques tendresses.
 Cette fausse sentimentalité et les idées convenues qu'elle génère, ce romantisme mal digéré lié à l'éducation des jeunes filles,  Maupassant les déplore mais ne peut se défendre d'un certains mépris. Henriette est bien la soeur d'Emma Bovary nourrie de romans à deux sous entre les murs de son couvent. Le rossignol! (...) cet éternel inspirateur de toutes les romances langoureuses qui ouvrent un idéal bleu aux pauvres petits coeurs des fillettes attendries"
Mais les femmes mûres n'en sont pas exemptes :  Monsieur Dufour avait dit : " Voilà la campagne enfin!" et sa femme, à ce signal s'était attendrie sur la nature. 
Maupassant va plus loin encore dans l'ironie puis qu'il utilise le chant du rossignol comme métaphore des ébats amoureux qui se déroulent sous l'arbre.

Un ivresse envahissait l'oiseau et sa voix s'accélérant peu à peu comme un incendie qui  s'allume en une passion qui grandit, semblait accompagner sous l'arbre un crépitement de baisers. Puis le délire de son gosier se déchaînait éperdument. Il avait des pâmoisons prolongés sous un trait, de grands spasmes mélodieux.

Parfois l'on sent que la beauté de la nature est bien là, présente, et que Henri y est sensible, en particulier lorqu'il présente la chambre de verdure où il amène Henriette comme son cabinet personnel. On peut imaginer qu'il vient ici pour méditer séduit par le calme et la beauté du lieu. A moins que ce soit là qu'il ait l'habitude de venir en galante compagnie?

Les personnages du Livre et du film

Auguste Renoir

Guy de Maupassant avait un mépris total du bourgeois, de sa sottise, de ses moeurs étriquées, associées à une hypocrisie sociale, à un respect excessif la bienséance. Il partageait ce sentiment avec bien d'autres écrivains du XIXème et en particulier avec le Flaubert de Bouvard et Pécuchet. Dans la nouvelle La partie de campagne, les personnages n'échappent pas à la férocité et la virulence. Dans le film de Renoir, les bourgeois (et les parisiens, en particulier!) sont ridicules mais ils sont  vus, surtout les femmes,  d'une manière plus douce, plus tendre.
 Les hommes
MR Dufour et son apprenti
Dans le livre comme dans le film Mr Dufour représente le bourgeois ridicule, donneur de leçon, pédant et lourd aussi bien physiquement qu'intellectuellement.
L'apprenti de Mr Dufour n'a pas de nom dans Maupassant : on le désigne par l'homme aux cheveux jaunes", il est immonde dans sa conduite, repoussant, c'est une brute. Dans le film, il n'est pas mieux traité! Il acquiert un prénom Anatole. Il est cinsidéré comme un domestique par la famille, puis, lorsqu'il devient le mari de la fille du patron, il traite son épouse avec dureté. C'est le personnage que Renoir n'aime pas et il ne le ménage pas.

Les deux canotiers
Dans le livre, l'un des canotiers n'a pas de nom et se dévoue pour prendre la mère. Il n'a pas de personnalité. Dans le film, il s'appelle Rodolphe et son personnage est plus élaboré;  c'est le séducteur sans scrupules qui n'a aucun été d'âme. C'est lui qui pousse Henri à la conquête. A l'origine, il veut la jeune fille  mais le couple Henriette et Henri se forment malgré lui. Il est représenté dans la scène de séduction de la mère comme un faune lubrique.
Le deuxième canotier est Henri dans le livre comme dans le film. La similitude des prénoms  de Henri et Henriette semblent les désigner l'un à l'autre. Henri dans le film de Renoir a un rôle plus développé que dans la nouvelle, il a des scrupules à séduire une jeune fille, ne voulant pas lui causer du tort en lui faisant un bébé ou en lui  brisant le coeur.  Dans le film comme dans le livre, ils sont tous deux meurtris par la rencontre et ne peuvent oublier ce bref moment  de bonheur.

 Madame Renoir par  Auguste Renoir

Les femmes
Henriette et madame Dufour
Dans le livre comme dans le film, Henriette est une belle jeune fille et son corps inspire le désir. Mais si dans le livre, elle paraît sotte comme nous l'avons vu, il n'en est rien dans le film. La beauté de la nature éveille sa sensualité mais ces émotions sont belles. Elle s'ouvre à l'amour. Le jeune fille, loin d'être sotte, est pleine de sensibilité. Le temps d'une partie de campagne, elle se libère, laisse parler son coeur et son corps. L'acte d'amour qu'elle va vivre avec Henri sera son seul moment de bonheur. Son milieu social, son mariage de convention avec un homme horrible, ne lui permettent pas d'espérer autre chose.  Renoir est plein de tendresse et d'indulgence pour la jeune fille et même pour sa mère, Juliette (et non Pétronille comme dans la nouvelle). Celle-ci n'est pas la grosse femme débordante de graisse, d'un laideur repoussante de Maupassant. C'est une femme ronde, bien en chair mais appétissante comme le dit le tavernier. Certes, elle est ridicule, minaude, se trémousse, pique des crises de nerf, veut paraître grande dame aux yeux des "messieurs" et obéit aux conventions sociales mais son attendrissement devant la beauté la nature, l'émotion qui l'étreint, qui éveille ses sens, la rend sympathique.
 Renoir célèbre la libération amoureuse liée au printemps, à la beauté de la  nature.  Maupassant, au contraire, qui juge que l'acte sexuel est "ordurier et ridicule" et révolte "les âmes délicates" montre les jeunes gens fuyant leur refuge comme Adam et Eve chassés du Paradis après la faute :

Ils étaient bien pâles tous les deux. Ils marchaient rapidement l'un près de l'autre, sans se parler, sans se toucher, car ils semblaient devenus ennemis inconciliables, comme si un dégoût se fût élevé entre leurs corps, une haine entre leurs esprits.

On pourrait donc penser qu'en cédant à Henri, Henriette déchoît. Mais pourtant la conclusion vient démentir cette idée lorsque l'écrivain dépeint la nostalgie de chacun. Le souvenir de ce qu'ils ont vécu ensemble est inoubliable. L'amour aurait pu être possible.

Mon avis :
Avec Une partie de campagne Maupassant maîtrise parfaitement l'art de la nouvelle et l'on peut dire que les deux créateurs, l'écrivain et le réalisateur, sont de la même trempe. Jean Renoir respecte la nouvelle, malgré quelques modifications, mais il crée un oeuvre personnelle qui n'appartient qu'à lui. 
Je préfère de très loin le film. Peut-être parce que Jean Renoir est plus optimiste, plus chaleureux. Même s'il se plaît à montrer le ridicule des gens, on ne sent pas le mépris qui est celui de Maupassant. Il y a une certaine bonhomie dans la critique sociale. Et puis il y a les magnifiques images, les jeux de lumière et de l'eau  et l'influence toute visuelle du père de Jean, Auguste Renoir.

Chez Wens ICI vous pouvez lire un billet sur le film et le visionner entièrement.