Pages

Affichage des articles dont le libellé est Littérature canadienne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Littérature canadienne. Afficher tous les articles

lundi 6 mars 2023

Katherena Vermette : Les femmes du North End

 

Le hasard des recherches sur les étagères de la médiathèque Ceccano a voulu que je trouve coup sur coup deux livres consacrés aux amérindiens. L’un de Louise Aldrich Celui qui veille qui se passe dans le Nord Nevada ICI; l’autre d’une écrivaine canadienne Katherena Vermette Les femmes du North End qui se déroule à Winnipeg, la capitale du Manitoba, et dont c’est le premier livre.

North End est un quartier de Winnipeg jadis réservé aux immigrants qui y ont construit de belles maisons avant que s’y installent les autochtones, autrement dit la classe sociale la plus défavorisée de la population canadienne, bien au-dessous des ouvriers, un quartier pauvre où vivent « des familles nombreuses, des gens bien, mais aussi des gangs, des prostituées, des drogués, et toutes ces grands et magnifiques maisons s’affaissent et fatiguent à l’image des vieilles personnes qui vivent encore à l’intérieur ».

Si vous prenez le temps de regarder la carte satellite de Winnipeg, la description des lieux est si précise que vous y retrouvez la fameuse « brèche » dont parle l’écrivaine -le titre anglais est "The break"- avec les pylônes à haute tension :
Les grands pylônes métalliques de la compagnie Hydro ont dû être installés plus tard. Immenses et gris, ils se dressent de chaque côté de ce terrain, soutenant deux câbles lisses et argentés qui s’élèvent au-dessus de la plus haute maison. Ils se succèdent sur deux cents mètres environ entre et encore, filant loin vers le Nord. Et ils vont peut-être même jusqu’au lac. Quand ma Stella et sa famille ont emménagé près d’ci, Mattie, sa petite fille, les a surnommés les « robots », un nom très bien trouvé.

C’est que ce quartier est le sujet du roman, en quelque sorte, puisque les lieux participent au drame qui va se jouer et témoignent du déterminisme social qui est aussi racial. Le racisme quotidien marque les amérindiens d’une manière indélébile et concerne aussi les métis si bien qu’il est très difficile d’y échapper. Même les mariages mixtes sont un échec, car, quelque part et peut-être même inconsciemment, celui des deux qui n’est pas indien se sent supérieur. C’est ce qui se passe pour Tommy, le jeune policier métis.

Comme le titre français le précise, c’est par les femmes d’une même famille que Katherena Vermette aborde le récit. De la Kookom, la grand-mère Flora, à ses filles Cheryl et Lorraine, ses petites-filles Louisa, Paulina, Stella et arrière-petite fille Emily.*

Emily n’a jamais embrassé un garçon. Romantique, elle est amoureuse de Clayton et accepte son invitation pour une fête. Elle y entraîne son amie Ziggy et leur intrusion qui provoque la jalousie d’une autre fille, dans un système de gangs qu’elles connaissent mal, va dégénérer en violence. Les fillettes se retrouvent à l’hôpital, Emily, gravement blessée. Une enquête est ouverte mais entravée par la peur des représailles, les victimes comme les témoins se murent dans le silence.
Le récit explore les conséquences de cette violence tout en décrivant les conditions de vie difficiles de ces femmes, leurs liens entre elles, leurs deuils, leur  colère, leur sentiment de culpabilité, leurs relations perturbantes avec des hommes qui ne supportent pas les contraintes de la paternité et se dérobent, ou qui sont alcooliques et violents. Elles décrivent aussi leur courage et la solidarité qui les unit entre elles, l’importance de la famille. Les traditions, les mentalités des indiens qui sont conservés dans un monde qui cherche à les exclure contribuent à ce lien très fort qui les empêche de sombrer dans le désespoir. L’amour qu’elles se portent permet de vaincre la dureté de leur existence et, parfois, aussi, la rencontre d’un homme différent, aimant, qui paraît être un miracle et que l’on peine à croire sincère.

Un bon roman qui présente de beaux portraits de femmes et qui finit par l’espoir, malgré la noirceur du sujet.
On est connes mais on n’est pas foutues » lâche Paulina en brisant le silence. Et elle ajoute, avant même que sa mère lui pose la question : «  Je vais renoncer à être désespérée. Ou du moins, je vais essayer de garder espoir le plus possible. »
- C’est une très bonne résolution, dit Chéryl.
- On pourrait bien tous s’en inspirer, ajoute Rita. S’en souvenir. »


*Il m’a paru difficile d’entrer dans toutes cette filiation avant de m’apercevoir que l’auteur avait pris la peine de dresser une arbre généalogique qui aide bien ! Ne faites pas comme moi, ne le ratez pas!


 


lundi 27 septembre 2021

Margaret Atwood/ Mary Harron : Captive


 

L’un de mes livres préférés de Margaret Atwood, écrivaine canadienne, est Captive. C’est pourquoi j’ai hésité à regarder la série (2017) de Mary Harron, adaptée du livre que j’avais lu à sa parution en 1996 , tant je craignais d'être déçue. Ce qui n'a pas été le cas, bien au contraire !

Margaret Atwood

Margaret Atwood s'inspire d'une histoire vraie (1859) d’une jeune servante, Grâce Marks, condamnée à perpétuité à l’âge de seize ans pour avoir tué ses patrons. Son complice, le valet qui commis le crime, est exécuté mais avant d’être pendu il accuse Grâce d’être l’instigatrice et la tête pensante de ces deux meurtres. Grâce échappe à la peine de mort étant donné son jeune âge mais est condamnée à la prison à vie.
Les années passent, de prison en asile psychiatrique, des années de douleur et de maltraitance, quand un pasteur et ses ouailles qui croient Grâce innocente font appel à un médecin psychiatre, Simon Jordan. Ils lui demandent de parler avec Grâce qui se dit amnésique pour lui faire retrouver la mémoire, ceci afin de confirmer son innocence et obtenir une remise de peine. Pendant le procès, elle avait donné, en effet, trois versions différentes des meurtres. Les rapports médicaux de l’époque n’avaient pu émettre un avis tranché sur la santé mentale de la jeune fille ni sur sa culpabilité.

Sarah Gadon : Grâce Marks

J’ai retrouvé dans la série canado-américaine les mêmes finesses au point de vue psychologique que dans le roman. La servante, Grâce Marks, extrêmement bien interprétée par Sarah Gadon, est ambiguë à souhait. Simon Jordan, (Edward Holcroft) le médecin, lui demande de raconter sa vie, espérant faire remonter les souvenirs du meurtre à la mémoire. Mais bientôt, il est subjugué, se laisse prendre dans les filets de cette belle jeune femme d’une intelligence redoutable mais dont on devine les zones d’ombres. Que se cache-t-il derrière ce visage si doux, cette voix si sage qui sait si bien choisir ses mots, ce discours si habile, si maîtrisé ? Il en tombe dangereusement amoureux. Dit-elle la vérité ? Est-elle coupable ou innocente, folle ou perverse ? Que dissimule-t-elle ? Doit-on prendre comme vrai ce portrait innocent, ingénu d’elle-même, qu’elle brosse devant le jeune médecin qui doit décider de sa demande de remise en liberté ?
Dans le livre comme dans le film, on se laisse prendre à ce jeu subtil et haletant.

Les autres centres d’intérêt du roman sont aussi très bien rendus. L’aspect féministe étroitement lié à la critique sociale montre une classe sociale misérable dont les membres subissent la faim, le froid,  la maladie, l'insalubrité de taudis sans chauffage. Accéder au statut de domestique dans une maison bourgeoise leur permet d'échapper en partie à ces terribles conditions de vie. Mais c'est pour  subir, alors, comme Grâce Marks ou son amie Mary Whitney, le paternalisme ou la condescendance des patrons, dans le meilleur des cas, et dans le pire (surtout pour les femmes) les agressions sexuelles, sachant que si celles-ci se plaignent, elles auront toujours tort et seront mises à la porte. La scène de la mort de Mary est d’une violence incroyable aussi bien dans le roman que dans le film. Elle souligne, à travers le sort horrible fait aux femmes, l’hypocrisie sociale de ces bourgeois ou nobles qui fréquentent l’église chaque dimanche mais cachent les exactions et la culpabilité de leur rejeton dégénéré. Les journées de travail sont longues, pénibles, du matin très tôt jusqu’au soir tard, une véritable exploitation ! Mais dans tous les cas ce sont toujours les femmes qui sont les victimes puisque même dans leur milieu, elles sont aussi maltraitées par leur père ou mari violent, alcoolique, et machiste, subissent le mépris des domestiques mâles et sont les proies sexuelles aussi bien des dominateurs que des dominés. La femme n'a aucun droit !
Margaret Atwood décrit en particulier les migrants irlandais, écossais, qui fuient la misère de leur pays sous la domination méprisante et implacable des anglais mais qui retrouve au Canada les mêmes conditions de vie et les mêmes anglais exploiteurs et méprisants.
D’autre part, le film en utilisant la voix off de la servante et son récit à la première personne rend compte du style envoûtant de Margaret Atwood et est aussi un récit à plusieurs voix et à plusieurs entrées.
Une réussite !
 

lundi 18 janvier 2021

Margaret Atwood : Graine de sorcière


Vous aimez le théâtre ? Vous idolâtrez Shakespeare ? Vous avez un faible pour sa pièce si étrange et complexe : La tempête ? Alors ce livre est pour vous et c’est un pur régal !

Félix est un grand metteur en scène, dans le style de ceux qui brillent et sévissent à la fois au Festival d’Avignon : Brillent parce qu’ils débordent  d’idées, n’hésitent pas à provoquer, à secouer les habitudes du public, à le mettre dans l’inconfort ! Sévissent parce que leurs provocations se font parfois au détriment de l’émotion, de l’authenticité du sentiment, et, ce qui est pire du sens, quand le metteur en scène cherche à se mettre lui-même en valeur au préjudice de l’auteur.
Quoi qu’il en soit Félix est directeur artistique du festival canadien de Makeshiweg et il laisse à son ami Tony l’entière responsabilité de la direction financière, des contacts avec les décisionnaires, avec les réseaux sociaux et les pouvoirs politiques. Cela ne l’intéresse pas.
C’est au moment où il monte La Tempête qu’il dédie à Miranda, sa fillette de trois ans qui vient de mourir, que Tony, s’appuyant sur un ministre de ses amis, prend le pouvoir et le démet de ses fonctions.  Seul Lonnie, le bras droit de Tony, lui manifeste un peu de sympathie.

Félix part se cacher loin de la ville, louant sous un faux nom un ancien bâtiment désaffecté où personne ne viendra le chercher. C’est son île déserte où il survit malgré le vide énorme, le chagrin dévastateur que lui a laissé la mort de sa petite fille survenue après celle de son épouse Nadia. Passent les années. Le fantôme de Miranda vit et grandit à côté de lui jusqu’à atteindre l’âge de la Miranda shakespearienne, quinze ans ! Félix réagit enfin et trouve un emploi dans une prison. Dans le cadre d’un programme pédagogique, il va enseigner le théâtre aux détenus. L’heure de la vengeance a sonné.*

Caliban de William Hogarth

La suite est une pure gourmandise, les discussion des détenus sur les personnages, leur manière de les voir révèlent les richesses de La Tempête tout en introduisant la vie et l’humour.
Chacun va juger en fonction de son instruction ou de son bon sens, de son âge, de son milieu social, de son passé plus ou moins mouvementé, des violences subies, de la pauvreté. C’est ainsi que Caliban, le fils de la sorcière Sycorax, devient pour certains la victime de la violence contre les peuples et les pauvres, le champion de la lutte des classes : Graine de sorcière, c’est lui qui donne son titre au roman. C’est ainsi qu’Ariel, l’esprit de l’air et ses petites fleurs, est une « tapette » que personne ne veut incarner, c’est ainsi aussi que les comédiens n’ont le droit de jurer que s’ils emploient les injures de Shakespeare et l’on s’aperçoit alors de la richesse de la langue du dramaturge dans ce domaine-là aussi !

Ariel, l'esprit de l'air

Quant à la vengeance proprement dite, je vous la laisse découvrir. Ne perdez pas de temps à vous demander si elle est réaliste. Nous sommes au théâtre et nous devons en accepter les conventions. Par contre, elle est d’une ingéniosité brillante car chaque personnage du roman va devenir personnage de la pièce ; ce qui nous révèle l’actualité de La Tempête, la constance à travers les siècles de la nature humaine tiraillée entre la lumière et l’obscurité, la pérennité du combat entre le Bien et le Mal et la corruption du pouvoir.

J’ai beaucoup aimé aussi quand les comédiens répondent à la question : que se passe-t-il après le dénouement de la Tempête ? Les réponses sont toutes d’un grand intérêt et donnent encore de nouveaux éclairages au texte comme si le génie de Shakespeare ne pouvait s’arrêter à la fin de la pièce.

Le livre est un donc un vibrant hommage à Shakespeare, il montre combien son théâtre s’adresse à tous, il peint la force de la littérature qui interroge, remue, change les mentalités de chacun.

À partir d’aujourd’hui, vous êtes des comédiens. Vous allez tous participer à une pièce ; chacun aura sa fonction, les anciens vous le diront. La Troupe du pénitencier Fletcher ne donne que des pièces de Shakespeare, parce que c’est le moyen le meilleur et le plus complet d’apprendre le théâtre.Shakespeare a quelque chose pour tout le monde, parce que son public regroupait tout le monde, des plus hauts placés jusqu’aux plus modestes et vice-versa."

* Si vous connaissez l'intrigue de la pièce de Shakespeare, vous avez noté la similitude existant entre Graine de sorcière et  Félix et  La Tempête et  Prospero. Si vous ne la connaissez pas, il y a un résumé de la pièce à la fin du roman de Margaret Atwood.

Et puis je vous renvoie à ce résumé et cette image d'une mise en scène donnée en 2017 par la compagnie Les têtes de Bois au festival d'Avignon. Voir ICI

tdbois-tempte-st-rmy01_24567299304_o

Dépossédé du duché de Milan, Prospero a trouvé refuge avec sa fille Miranda sur une île inconnue : là, régnant en maître sur le « sauvage » Caliban, il a appris l’art de la magie et dominé Ariel, un esprit de l’air.

Un jour, il déclenche une tempête qui fait s’échouer le navire transportant ses puissants ennemis : son propre frère, Antonio l’usurpateur ; Alonso, le roi de Naples, qui l’a trahi, accompagné de son frère Sébastien et de son fils Ferdinand ; Gonzalo l’ancien conseiller loyal de Prospero et tout leur équipage. Les rescapés se retrouvent en divers points de l’île, saufs mais séparés, ignorants du sort des autres.

La vengeance de Prospero est en place : tourmentés, les naufragés deviennent des marionnettes aux mains du cruel magicien. Sur cette île (dés) enchantée où les mauvais esprits croisent les bons génies, la tragédie du monde se rejoue : chacun, le temps d’un orage, sera confronté à lui-même…

J'ai écrit un billet sur cette pièce et cette mise en scène à l'époque ICI

Autres billets sur La Tempête dans mon blog  :

https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2012/08/la-tempete-au-festival-davignon-par-le.html

https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2012/07/de-la-tempete-de-skakespeare-the.html

Chez Myriam : La tempête d'Aimé Césaire  Ici

Prélude pour la Tempête de Shakespeare /L’Île de Prospero L.Durrell ICI

Qui veut (re)lire avec moi La Tempête en LC ? Disons pour le  mois d'Avril ?

 
Ariel


lundi 11 janvier 2021

La riche moisson de Noël


 

Voici ma riche moisson de Noël ! J'en ai déjà lu plusieurs mais je suis en retard pour les commenter comme d'habitude. A bientôt !

Les livres : "C'est la meilleure des munitions que j'aie trouvée en cet humain voyage". Montaigne



mardi 6 novembre 2018

Dany Laferrière : Tout bouge autour de moi


Le 12 Janvier 2010, Dany Laferrière est attablé au restaurant d’un hôtel, avec des amis, invité à un festival littéraire à Port-au-Prince, quand un fracas épouvantable retentit semblable à "une mitrailleuse" ou "comme un train". C’est le début du terrible tremblement de terre qui a secoué Haïti et fait plus de trois cent mille morts, autant de blessés et un million et demi de sans abri. Il a pourtant duré moins d’une minute !

« On s’est tous les trois retrouvés à plat ventre au centre de la cour. Sous les arbres. La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. »

La première sensation dont a conscience l’écrivain après le séisme, c’est le silence, la sidération. Puis les cris, les premiers secours, les nuits angoissantes passées sous les étoiles dans la peur des des répliques, avec une seconde secousse presque aussi forte que la première qui est arrivée « comme un coup derrière la tête» . L’affolement des familles qui se cherchent, la découverte des morts, la perte d’un parent, d’un ami, et la prise de conscience de l’étendue du désastre. Laferrière part dans le quartier de sa famille dont la maison a été épargnée. Il y retrouve sa mère, sa soeur, ses tantes, des personnages récurrents de ses romans que nous connaissons un peu comme des amis.
Les voisins n’ont pas tous cette chance. Partout les ruines, l’horreur, la désolation et l’incertitude de l’avenir.
Dany Lafferière note : « Les gens, comme les maisons, se situent dans ces trois catégories : ceux qui sont morts, ceux qui sont gravement blessés, et ceux qui sont profondément fissurés à l’intérieur et qui ne le savent pas encore. Ces derniers sont les plus inquiétants. Le corps va continuer un moment avant de tomber en morceaux un beau jour. Brutalement. Sans un cri. »

Il analyse ce qu’il a ressenti pendant le tremblement de terre  : « le vernis de  civilisation que l’on m’a inculqué est parti en poussière - comme cette ville où j’étais.  Tout cela a duré dix secondes. Est-ce le poids réel de la civilisation ? Pendant ces dix secondes, j’étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même. Ce qui est sûr, c’est que je n’étais plus le produit d’une culture ».

Après son retour à Montréal, il en découvre les séquelles : « Je panique à l’idée d’avoir absorbé une dose d’anxiété si forte qu’elle pourrait s’incruster dans ma chair. J’ai vu juste, car plus d’un mois après le séisme mon corps reste sensible à la moindre vibration du corps.»

Pourtant, malgré la peur, le deuil, la faim et la souffrance, Dany Lafferière remarque la dignité des haïtiens, ce qui le rend fier de ce peuple qui semble toujours se relever de ses cendres, pas de scènes de pillage, de désordre  :  «  Au lieu de cela, on a vu un peuple digne, dont les nerfs sont assez solides pour résister aux plus terribles privations. Quand on sait que les gens avaient faim bien avant le séisme, on se demande comment ils ont fait pour attendre si calmement l’arrivée des secours. De quoi se sont-ils nourris durant le mois qui a précédé la distribution de nourriture ? Et tous ces malades sans soin qui errent dans la ville? »

La vie reprend peu à peu le dessus dans ce pays "jamais à cours de malheurs" où " c’est mieux d’être divers et ondoyant " :

"... si en Haïti on a peur une minute, il arrive qu’on danse la minute d’après. Cette technique empêche de sombrer dans une névrose collective".

En fait, pour commenter ce livre, il faudrait que je le cite en entier ! Je ne m'arrêterais pas tant il est riche de réflexions et d'humanité. Un beau texte donc qui nous plonge au coeur d'un peuple touché par le malheur lors d'une catastrophe que nous vivons à hauteur d'homme, par l'intérieur. Quand tout bouge, ce n'est pas seulement la terre qui tremble, les immeubles qui s'écroulent, mais toutes nos certitudes intimes, tout ce qui fait la stabilité d'une civilisation. Tout bouge autour de moi nous permet de connaître plus avant la société haïtienne, ses croyances, sa force de résistance, ses pouvoirs de résilience et tout simplement son amour de la vie. Enfin, il nous amène à une réflexion générale sur l'être humain, sur sa fragilité et sur la tendresse du monde. C'est le titre de son dernier chapitre.

Et puis, pour le plaisir et parce que je partage entièrement cette idée, je termine par une phrase que j'aime beaucoup car elle montre la force de la  littérature quand elle permet de survivre : c'est l'enfant lisant Dumas sous une tente, et qui se laisse transporter bien loin de cette habitation si fragile dont le caractère provisoire s'éternise ; c'est l'écrivain lisant la poésie d'Amos Oz :

« Ma confiance dans la poésie est sans limite. Elle est seule capable de me consoler de l’horreur du monde. »

Montaigne formulait ainsi cette idée : les livres "c'est la meilleure des munitions que j'aie trouvées en cet humain voyage". J'en ai fait la devise de mon blog.

 Lectures communes avec :

 LC d’un roman  de Dany Laferrière au choix, avec Kathel, Valentyne, Anne, Enna  !




 Dany Laferrière lit un passage de Tout bouge autour de moi




dimanche 23 septembre 2018

Richard Wagamese : Les étoiles s’éteignent à l’aube


Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese éditions ZOE
Franklin Starlight a seize ans lorsqu'Eldon, son père, vieil homme alcoolique en fin de vie, le convoque à son chevet et lui demande de l'emmener au coeur de la montagne, là où les Indiens enterrent leurs guerriers. S'ensuit un saisissant périple à travers l'arrière-pays, où Eldon découvre le fils qu'il avait abandonné en totale symbiose avec la nature sauvage, et libère sa parole progressivement, lui restituant enfin son histoire familiale, et leurs origines indiennes. (quatrième de couverture)

Richard Wagemese est un écrivain canadien d’origine amérindienne. J’avais peur en commençant ce livre sur le thème de la nature et des origines indiennes d’éprouver l’impression d’un déjà vu ou plutôt d’un déjà lu tant l’histoire paraît classique ... et effectivement elle est l’est, la nature jouant ici le rôle de lien entre le père et le fils, sorte de catharsis pour le père et voyage d’initiation pour le fils. C’était sans compter sur le talent de l’auteur, la force de ses descriptions, la beauté de la nature et l’humanité qu’il insuffle à ses personnages, qui font de ce roman une oeuvre personnelle et émouvante.

Si le voyage est initiatique pour Franklin car il s’agit d’un cheminement vers la mort, il y a un renversement de la situation habituelle. C’est le fils qui possède le savoir, la sagesse. Pendant ce périple dans la montagne, c’est le jeune homme qui nourrit son père en tirant parti des richesses de la forêt et de la rivière, lui qui le soigne, le protège, l’assiste dans la douleur et la mort. Franklin est un beau personnage, à l’image de Vieil Homme qui l’a élevé. En l’absence d'Eldon, en effet, le Vieil Homme lui a tout appris de la vie en milieu sauvage, respectant ses origines indiennes, mais aussi du travail de la ferme et de la sérénité que procurent le respect de la nature et l’accomplissement du travail bien fait. 

Le vieil homme lui avait fait le don de la terre à partir du moment où il avait été capable de s’en souvenir, et il lui avait montré comment la traiter et l’honorer, disait-il, et le garçon avait senti l’importance de ces enseignements et il avait appris à les écouter et à bien les reproduire.

  J’ai aimé cet aspect du roman qui nous introduit dans les secrets de la nature, dans le monde des plantes, des herbes médicinales, des bêtes sauvages. On sent que Richard Wagemesse, lui-même amérindien ojibwée comme ses personnages, en a une profonde connaissance.

Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable… Dire qu’il l’aimait, était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir des odeurs du Camp Coffee, des cordes de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait partout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un noeud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre.

Quant au personnage d’Elton, alcoolique, il fait osciller le lecteur entre rejet et compassion. Mauvais fils, mauvais mari, mauvais ami, mauvais père, selon les critères moraux habituels, ses actes peuvent inspirer l’horreur. Le récit qu’il fait à son fils permet de le connaître et le rend plus humain. Sa souffrance morale qui est aussi intense que les affres de la maladie, le sentiment de culpabilité qu’il éprouve, son désir de régénération, témoignent de la complexité de l’être humain. Rien n’est jamais tout noir ni tout blanc et l’on voit que cet homme en fin de vie, à jamais marqué par son enfance misérable et douloureuse, avait des capacités d’amour sincère, mais possédait en lui le germe de son autodestruction.

Des fois les choses tournent mal, explique le Vieil Homme à Franklin. Quand elles arrivent dans la vie, on peut presque toujours les régler.  Mais quand elles arrivent à l’intérieur d’une personne, elles sont plus difficiles à réparer. Eldon a été pas mal cassé, au fond de lui…

Peut-être le drame vient-il pour Elton, comme pour les amérindiens du Canada, du fait qu’il a été éloigné de sa culture et privé des valeurs qui auraient donné un sens à sa vie. C’est ce que semble penser l’auteur.
Dès que j’ai commencé ce livre, je n’ai pas pu le lâcher et l’ai lu d’une traite, d’un souffle, devrais-je dire. C’est un beau roman qui  redonne confiance en la nature humaine au-delà de ses défauts et ses noirceurs. Une lecture passionnante !


Et  vous pouvez lire aussi tous ces billets dont les avis sont élogieux.





vendredi 23 septembre 2016

Emily St John Mandel : Station Eleven


J’ai déjà beaucoup lu ou vu des livres ou des films décrivant la fin de la civilisation après une catastrophe et la situation de ceux qui survivent : Ravages de Barjavel ou Malevil de Robert Merle pour ne citer qu’eux.
Aussi j’avais peur de cette impression de déjà (trop) connu dans le roman Station Eleven d’Emily St John Mandel, jeune écrivaine canadienne. Mais le livre est placé sous le signe de Shakespeare puisque l’épidémie qui va décimer 99% de la population terrestre a lieu le jour suivant la mort de l’acteur Arthur Leander. Or, celui-ci s’écroule sur scène, victime d'une crise cardiaque,  au milieu de la représentation du Roi Lear. Alors ma curiosité a été piquée.

Mathieu rebuffat Nîmes après la fin du monde ICI
Bien sûr, j’ai retrouvé dans Station Eleven des situations récurrentes à tous les romans d’anticipation qui explorent ce thème et ceci est inévitable. La fin de la civilisation s’accompagne toujours d’un retour à la loi du plus fort. Et contrairement à la philosophie rousseauiste, comme l’homme est naturellement mauvais, il va s’emparer par la force de ce qu’il désire pour assurer sa survie, son confort (même relatif) et son plaisir! L’enfant et la femme sont une proie pour ces prédateurs. Le roman post-cataclysme développe donc, avec ce retour à la nature primitive, le mythe du chef qui est en général un homme. Souvent la femme, du moins chez les deux écrivains précédemment cités, occupe une place secondaire, importante surtout pour la survie de l’espèce !  Par contre, la femme chez Emily St John Mandel apprend à se défendre seule comme Kirsten, à combattre et à jouer du couteau, s’il le faut. De plus, elle aussi peut-être détenir l’autorité ! Ainsi la chef d’orchestre de la petite troupe autour de laquelle se rallient musiciens et acteurs. Ce qui est entièrement nouveau.
Le rôle de la religion est aussi un thème très présent. Dans Station Eleven le fanatisme est un moyen de manipulation et de contrôle du pouvoir. Le Prophète, nouveau gourou, s’empare d’une petite ville et soumet ses habitants.
Et puis, bien sûr, l’on retrouve dans toutes ces oeuvres la souffrance liée à la disparition d’êtres chers mais aussi du monde ancien. Ceux qui s’en sortent le mieux ce sont les enfants qui n’en ont plus le souvenir. Le regret lancinant des bienfaits de la civilisation disparue taraude les esprits : l’absence d’électricité qui plonge les nuits dans une obscurité angoissante, la lutte pour trouver à manger, la disparition des transports, du téléphone, d’internet qui abolissaient les distances, l’insécurité des villes et des chemins infestés de voleurs de tueurs. Et cette nostalgie donne une coloration au roman qui nous fait regarder d’une autre manière notre civilisation. Un point de vue différent qui nous permet d’en voir les aspects positifs et non, comme nous le faisons souvent à l’heure actuelle, ce qu’il y a de négatif. Nous prenons conscience de la facilité de notre vie liée aux sciences. Là aussi le roman va à l'encontre des idéologies qui critiquent le progrès, l'asservissement de l'homme à la machine.

Matthieu Rebuffat : Nîmes après la fin du monde l'autoroute  ICI
Mais la vraie réussite de ce roman, c’est d’avoir fait d’une petite troupe de comédiens itinérants le symbole insubmersible de la civilisation. En effet, les personnages d’Emily St.John Mandel sont des artistes. Ils se déplacent de ville en ville dans des voitures tirées par des chevaux, comme Molière, et oui, pour donner leur spectacle musical et théâtral. Ce sont eux qui maintiennent l’espoir, l’émotion, la beauté et redonnent un sens à la vie, de même qu'ils rendent aux survivants leur statut d’êtres humains. Pourquoi? «  Parce que survivre ne suffit pas ».
« Ce qui a été perdu lors du cataclysme : presque tout, presque tous. Mais il reste encore tant de beauté : le crépuscule dans ce monde transformé, une représentation du Songe d’une nuit d’été sur un parking dans la localité mystérieusement baptisée Saint Deborah by the Water avec le lac Michigan qui brille à cinq cent mètres de là. »
Et si les comédiens interprètent uniquement des pièces de Shakespeare, « c’est parce que les gens veulent ce qu’il y avait de meilleur au monde »
Et tant qu’il y a de la beauté sur cette terre, tant que la vie intellectuelle subsiste, la civilisation peut reprendre ;  témoin le renouveau avec la création d'un musée, d'un journal et la réapparition timide de l'électricité. Un livre assez optimiste, finalement.

Enfin, l’originalité du roman, c’est cette construction savante de récits conçus non comme des retours dans le passé, mais comme des espaces temps qui font coexister le présent et le passé ou même parfois anticiper l'un par rapport à l'autre. La vie de l’acteur Arthur Leander, de son fils Tyler et de ses trois épouses, sa mort, l’enfance de Kirsten et sa vie actuelle se déroulent en parallèle… Et entre passé et présent émerge un personnage très beau, celui Miranda, la première femme de Leander, une artiste elle aussi, qui écrit et dessine une bande dessinée. Elle y raconte une histoire de survie après la fin d’une civilisation, récit dans le récit, fil conducteur entre le passé et le présent et entre les personnages, en particulier entre Kirsten et Tyler, tous deux très jeunes au moment de la catastrophe.
Un roman bien écrit et intéressant qui trouve sa place auprès des bons romans illustrant ce genre.



samedi 3 septembre 2016

Joseph Boyden : Dans le grand cercle du monde



Avec Dans le grand cercle du monde, l’écrivain canadien, Joseph Boyden, raconte la fin du peuple Huron (les Wendat dans leur langue) dont les membres furent décimés ou dispersés en 1649 par les iroquois lors de la guerre qui les oppose.
Les Hurons qui furent baptisés ainsi par les français à cause de leur coiffure comparable à une hure de sanglier avaient fait alliance avec Samuel de Champlain dès le début du XVII siècle pour le commerce des peaux. Selon le contrat, les français leur devaient assistance contre les iroquois. En contre partie, la présence de jésuites sur leur territoire leur était imposée, ceux-ci oeuvrant pour la christianisation et favorisant les visées colonialistes de la France. Les Iroquois, eux, furent bien vite alliés aux Hollandais puis aux Anglais si bien que les guerres fratricides entre tribus servirent les intérêts des envahisseurs.

Cornelius Krieghoff  : Huron-Wendat Callingmoose

Joseph Boyden présente le génocide de ce peuple divisé en cinq tribus et la diaspora des survivants à travers un récit qui s’étend sur une vingtaine d’années, vu par trois personnages principaux :
Un jésuite (que les indiens appellent le Corbeau comme tous ceux de son ordre) qui vient christianiser les Hurons, devient leur prisonnier puis leur allié imposé, jamais accepté.
Un chef Wendat, Oiseau, animé par sa haine contre les iroquois qui ont tué sa femme et ses filles. Il est conscient du danger que représente les Corbeaux pour son peuple et cherche en vain à l’en libérer. C’est lui qui mènera les négociations avec Samuel de Champlain et conclura l’alliance avec les français. .
Et une petite fille iroquoise, Chutes de neige, prisonnière d’Oiseau qui a tué ses parents. Elle deviendra bien contre son gré sa fille adoptive. Oiseau, entend par là, selon la coutume des amérindiens, remplacer ses filles défuntes par une adoption dans la tribu ennemie.

Cornelius Krieghoff : Huron indians at portage
 Ce sont ces points de vue différents qui vont mettre en relief le choc des cultures, chacun appréhendant l’autre selon sa mentalité qui lui fait trouver cocasses, ridicules ou véritablement effroyables les coutumes, les croyances ou tout simplement la présence de l’autre. Ainsi les Corbeaux qui apportent des maladies mortelles aux indiens sans être malades eux-mêmes ne sont-ils pas des sorciers? Le Jésuite est de plus un être incompréhensible à leurs yeux avec son amulette autour du cou (la croix), ses gestes ridicules (les signes de croix) et son outrecuidance à proclamer la supériorité de sa religion. L’incompréhension du Jésuite envers les indiens n’est pas moindre !
Joseph Boyden qui est lui-même d’ascendance indienne, connaît bien cette civilisation et nous permet d’entrer dans cette culture qui parfois nous rebute (les tortures infligées aux prisonniers sont atroces) et parfois nous séduit. Leur religion, en particulier, est très belle car elle ne place pas l’homme au centre de l’univers en affirmant sa suprématie mais donne à tous une juste place, humains, végétaux, animaux, tous reliés à un Tout, tous serviteurs de la Nature plutôt que maîtres. 


Maison longue Huron reconstitution pour le film Robe noire
Dans le grand cercle du monde nous permet donc d’aborder cette civilisation d’une manière agréable, intéressante, en nous attachant à certains personnages, y compris secondaires, en voyant vivre les autochtones dans les maisons-longues qui regroupent plusieurs foyers. Amour, mariage, amitié, agriculture, chasse, trappe, commerce, fêtes, croyances et guerres … les saisons passent, les héros grandissent comme la petite iroquoise qui devient femme et se marie, épousant définitivement les moeurs des Hurons; ou ils vieillissent comme le jeune jésuite apeuré et tremblant du début qui s’affirme dans sa foi et manifeste un courage et une ouverture aux autres qui permet de faire oublier certains aspects peu sympathiques de ses tentatives de conversion.
Ce roman est donc une belle approche de cette nation indienne et de cette période tragique qui a vu disparaître en grande partie ce peuple, les Wemdat.



Joseph Boyden est un écrivain canadien, né en octobre 1966. Il a des origines irlandaises, écossaises et indiennes. Son premier roman, Three Day Road, publié en 2005, a été bien accueilli et lui a permis d'acquérir une certaine notoriété au Canada. Son deuxième roman, Through Black Spruce, a remporté le Prix Giller. Ses ouvrages sont consacrés au destin des Premières nations du nord de l’Ontario. (wikipédia)
Son oeuvre  traduite en français :
Joseph Boyden (trad. Hugues Leroy), Le Chemin des âmes [« Three Day Road »], Paris, Albin Michel, coll. « Terres d'Amérique », 2006, 391 p. (ISBN 978-2226173201)
Prix Amazon 2006
Joseph Boyden (trad. Michel Lederer), Les Saisons de la solitude [« Through Black Spruce »], Paris, Albin Michel, 2009, 400 p. (ISBN 978-2226193995)
Giller Prize 2008
Joseph Boyden (trad. Michel Lederer), Dans le grand cercle du monde [« The Orenda »], Paris, Albin Michel, coll. « Terres d'Amérique », 2014, 610 p. (ISBN 978-2-226-25615-7)

Ce livre participe au challenge le pavé de l'été de Sur mes Brizées édition 2016 avec 685 pages en livre de poche.



samedi 30 janvier 2016

Myriam Beaudoin : Hadassa





Voilà ce que dit l’éditeur (Bibliothèque Québécoise)  à propos de Hadassa, roman de Myriam Beaudoin, écrivaine québécoise :  
« Une jeune femme, professeure de français dans un établissement pour écolières juives orthodoxes, découvre tout au long de l’année scolaire un monde à part, enveloppé de mystère et d’interdits, mais séduisant et rassurant. Au fil des conversations chuchotées avec les jeunes élèves, dans un franglais parsemé de yiddish, dans l’apprivoisement, dans la surprise et dans l’inconfort de la différence, se détache alors le visage d’une enfant boudeuse, rêveuse, fragile prénommée Hadassa. Le choc des cultures peut-il être un choc amoureux ? Oui, puisque se tisse en parallèle une histoire d’amour entre un jeune épicier récemment immigré de Pologne et une Juive mariée, effrayée par la violence de ses sentiments. C’est le prix de la liberté qui est ici remis en question – une liberté dont nous ne savons parfois plus que faire. Drôle et émouvant, vif et nostalgique, Hadassa est le roman du respect et de l’ouverture. Myriam Beaudoin confronte en douceur les valeurs de l’Occident et celles d’une culture millénaire qui fait tout pour préserver les siennes, y compris se refermer sur elle-même. »

Il est certain que c’est avec douceur, ouverture et respect que Myriam Beaudoin explore les traditions, les croyances et les moeurs de cette communauté de juifs hassidites d’un quartier de Montréal. Elle tombe littéralement sous le charme des ces petites filles qui n’ont que onze ans. Elles ont encore gardé une relative spontanéité et une fraîcheur qui les emmènent à s’intéresser à leur professeure de français (une goyim) et a « l’avoir dans le coeur » comme le fait Hadassa! Myriam Beaudoin rend compte de ces rapports de l’adulte et des enfants avec finesse, poésie et humour. Les échanges de l’enseignante et de ses jeunes élèves qui parlent une mélange de yiddish, d’anglais et de français malmené sont savoureux. L’on ne peut qu’aimer ces fillettes si différentes les unes des autres, intelligentes et intéressantes, attachantes dans leur naïveté et leur curiosité, sachant qu’à douze ans, après leur Bat Mitzva, leur enfance sera terminée :

«  A partir de douze ans, on devient des Kalemyd, des filles à marier, et on doit se comporter en femme, il faut être jolie toujours, le mariage va venir, le shadchen cherche un mari pour nous.. (…) Quand une fille devient Bat Mitzva, c’est la fin de l’école primaire, le début d’une longue préparation au mariage, et surtout, surtout, la séparation définitive avec les non-juifs. »

Pourtant quand on affirme que ce monde est « rassurant » alors je m’interroge. En quoi, un repli communautaire est-il bienfaisant quand il protège ses traditions en refusant tout contact avec ceux qui ne sont pas de la même religion, considérant l’Autre, celui qui est différent, comme impur? En quoi est-il positif qu'un enseignement interdise  "tout évènement historique ou scientifique qui date de plus de six mille ans", négation de l'évolutionnisme, et bien d'autres choses encore? En quoi est-il bon quand il s’oppose à la liberté des femmes, en les retranchant dès leur enfance de tout contact avec la vie extérieure et en les tenant pour inférieures?
Après s’être lavé les mains, son époux revêtit son châle de prière, enroula à son front et à son son bras gauche deux écrins de cuir noir, se tournant vers Jérusalem, pieds joints, récita la prière du matin, et il rendit grâce à Dieu de ne pas avoir été fait femme : «  L’homme est né de la terre et la femme d’un os. Les femmes ont besoin de parfum et non les hommes : la poussière du sol ne se corrompt pas tandis qu’il faut du sel pour conserver la viande…

 Pour ma part, et au nom de la tolérance et de la liberté, j’ai été glacée par un repli communautaire qui entraîne la négation de l’étranger, interdit tout rapport avec lui même par le regard. J’ai été choquée par le mépris de la femme et par sa mise sous tutelle, son absence de liberté physique mais aussi intellectuelle. Il faut l’empêcher de penser par elle-même. Et que l’on justifie cela par le « confort » que cela lui procure (elle n’est pas en proie au doute, elle est heureuse parce qu’elle a des certitudes, elle sait où est sa place etc…) me paraît bien triste parce que même si la liberté n’est pas de tout repos, elle fait de nous des êtres humains à part entière.

C’est d’ailleurs ce que prouve l’autre aspect du roman de Myriam Beaudoin, celui qui montre une femme juive tourmentée par l’amour qu’elle éprouve pour un goyim.  Ses souffrances permettent de comprendre ce qu’éprouvent les femmes qui ne savent pas se couler dans un moule. En France, encore jusqu'au XIX siècle, les femmes différentes, qui s’opposaient à la tutelle toute puissante de leur mari, ou ne voulaient pas être mariées contre leur gré, ou ne voulaient pas être mères, bref! qui étaient différentes, étaient considérées comme folles et parfois enfermées dans des asiles ou des couvents.
Finalement toutes les religions, chrétienne, musulmane, juive… ont mené à ce résultat. Pas à l’origine, certainement, mais parce qu’elles ont toutes été prises en main et codifiées par des hommes. Saint Augustin  affirme :« Homme, tu es le maître, la femme est ton esclave, c'est Dieu qui l'a voulu. » Ben, voyons! Dieu serait-il anti-féministe?
Nous avons évolué chez nous depuis, bien heureusement? Pourtant quand un membre d’une association humanitaire, en France, affirme refuser de serrer la main à une femme et ceci sur un plateau de télévision, l’on ne nous dit même pas si cette association continue à recevoir de subventions de l’état français au nom de sa « modération ». En Belgique, des députés musulmans « modérés »  ont refusé de regarder les journalistes féminines et de répondre à leurs questions.

Ma conclusion est que l'extrémisme religieux est dangereux car il s’attaque à la liberté, en général, et aux droits de la femme. Je ne vois pas pourquoi l’on accepterait chez l’un, ce que l’on combat chez l’autre. L’on me dira que les Hassidites ne  sont pas violents mais n’est-ce pas une violence en soi que de refuser les autres sous prétexte de se protéger. Et peut-on dire que les femmes ont le choix et qu’on ne leur fait pas violence en les privant de leur libre arbitre, en leur refusant à l'école tous les sujets qui pourraient former leur sens critique? D'ailleurs je suis étonnée que le gouvernement canadien autorise un enseignement aussi restrictif, aussi passéiste et aussi inégalitaire; ce n'est pas possible en France même dans des écoles confessionnelles agréées par l'Etat (du moins, je l'espère!!). Lisez ce livre, vous n'en reviendrez pas! C’est pourquoi je n’ai pas été convaincue par les termes employés par le critique, Benoît Jutras, à propos de la communauté décrite dans le roman de Myriam Beaudoin, admirant «la dignité sans nom d’être autre ».

Ceci dit, vous comprendrez qu’étant donné toutes les questions que soulève ce livre, et qui sont de plus au coeur de nos préoccupations actuelles, et sans oublier l’écriture de Myriam Beaudoin,  il ne peut être que très intéressant de lire "Hadassa".

Merci à Aifelle pour l’envoi de ce roman son billet est ICI  

mardi 21 juillet 2015

C't'à ton tour, Laura Cadieux de Michel Tremblay

festival avignon 2015  théâtre des Corps Saints C't'à ton tour, Laura Cadieux de Michel Tremblay
C't'à ton tour, Laura Cadieux de Michel Tremblay

"Montréal. Laura Cadieux, mère de famille à la langue bien pendue, se rend chez son "génie-coloye" : elle suit depuis 10 ans un traitement pour maigrir, prétexte pour retrouver ses copines dans la salle d'attente. Tout y passe : le métro, les hommes, le clergé, l’obésité, le sexe, le corps... Laura Cadieux, aux rondeurs décomplexées, nous livre une incroyable galerie de personnages à la fois désopilants et touchants. Tiré d'un récit du dramaturge québécois à succès Michel Tremblay."

J’avais envie d’aller voir ce texte de Michel Tremblay parce que j’avais vu et aimé : A toi pour toujours ta Marie Lou en 2012, pièce qui revient cette année au collège de La Salle.
Dans C't'à ton tour, Laura Cadieux, Cécile Magnet est seule sur scène et interprète fort bien tous les personnages qui se trouvent dans la salle d’attente. Le livre a été écrit par l’écrivain dans les années 1970 au moment où la société québécoise se défaisait de la domination étouffante de l’église catholique d’où un fort sentiment anticlérical. Michel Tremblay lui-même issu d’un milieu populaire présente une galerie de portraits de femmes du peuple, truculentes et qui n’ont pas la langue dans la poche! On passe un bon moment. Cependant, je n’ai pas trouvé la pièce entièrement convaincante peut-être parce que ces personnages me paraissent anecdotiques et trop datés, peut-être aussi parce qu’il s’agit de l’adaptation d’un roman non d’une pièce écrite pour le théâtre? Je vous conseille donc si vous hésitez, d’aller plutôt voir A toi pour toujours ta Marie Lou. L’action se déroule à la même époque mais présente une critique sociale et un drame humain qui en font une pièce forte, servie pas de bons comédiens et où vous retrouverez d’ailleurs Cécile Magnet. Voir mon billet ICI

C't'à ton tour, Laura Cadieux
Michel Tremblay
 Théâtre des Corps Saints
du 4 au 26 juillet
18h15
durée : 1h15


Un obus dans le coeur de Wajdi Mouawad/ Catherine Cohen




"Wahab est réveillé en pleine nuit par un coup de téléphone lui apprenant que sa mère, malade d’un cancer, agonise. En s’acheminant vers l’hôpital, Wahab se prépare à dompter la mort, à nouveau, la dernière fois il avait 7 ans. Tout le mène à ce face à face avec la mort, avec sa peur d’enfant, qu’il doit terrasser pour enfin se libérer. Le chemin de Wahab est un chemin douloureux, où se côtoient l’innocence, la colère, l’incompréhension, la tendresse et aussi l’humour."

Wajdi Mouawad, dramaturge libano-canadien, est né au Liban qu’il a fui avec ses parents quand il était jeune pour trouver refuge au Québec. Dans cette pièce, Un obus dans le coeur, mise en scène par Catherine Cohen, son personnage, Wahab, porte en lui les peurs d’un enfant qui a connu la guerre, qui a vu des évènements si terribles qu’il n’a jamais pu les oublier. C’est à l’occasion d’un autre évènement, la mort annoncée de sa mère à l’hôpital que Wahab va se trouver face à face avec « cette femme aux bras de bois », personnification de la Mort, qu’il vu apparaître pour la premier fois lors d’un attentat au Liban et qu’il va affronter à nouveau au chevet de sa mère.
Wajdi Mouawad est un écrivain grandiose, qui possède un langage à la fois puissant, poétique, évocateur. Quand il décrit une horde de loups surgissant dans une salle d’hôpital, quand il montre un enfant mourant dans un bus incendié, vous le voyez! J’adore lire ses pièces mais c’est la première fois que j’en vois une sur scène bien qu’il soit venu dans le In il y a quelques années. 
Le comédien, Grégori Baquet, porte ce texte si beau et si douloureux avec intensité. Il a une force d’intériorisation remarquable. Il n’a pas besoin de grande démonstration pour nous communiquer les sentiments qu’il éprouve face à la mort de sa mère, aux débordements de sa famille, ses colères, ses frustrations, son chagrin et surtout la peur de l’enfance, celle qui ne peut être vaincue que par un autre peur d’enfance encore plus grande. La mise en scène et la scénographie jouent aussi sur la sobriété, un rideau de fond qui sert d’écran, des chaises soudées entre elles qui deviennent personnages.
Un théâtre où l’on se sent concerné, où l’on éprouve une grande émotion et d’où l’on sort le coeur serré. Un théâtre comme je l’aime.

MOLIÈRE 2014 – Révélation masculine Grégori Baquet

Un obus dans le coeur de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Catherine Cohen
Interprète : Grégori Baquet
Théâtre Le Balcon 12H15
durée 1H10





lundi 27 avril 2015

Louise Penny : Défense de tuer

Rencontre autour de l'oeuvre de Gericault, La monomane de l'envie,  avec Louise Penny au musée des Beaux-Arts de Lyon à propos de son livre Défense de tuer
Rencontre avec Louise Penny au musée des Beaux-Arts de Lyon




Louise Penny, écrivaine canadienne aux Quais du Polar de Lyon signe Défense de tuer paru aux éditions Actes noirs Actes Sud
Louise Penny aux Quais du Polar de Lyon
Louise Penny a longtemps travaillé comme journaliste à la radio anglaise de Radio-Canada avant de s'imposer comme « la plus récompensée des auteurs canadiens de romans policiers » (Maclean's). Si En plein cœur (Flammarion Québec), le premier titre de sa série « Armand Gamache enquête », a remporté un nombre remarquable de prix, les ouvrages suivants ont plus que confirmé ce succès. Louise Penny est notamment la première romancière à avoir gagné le très prestigieux prix Agatha trois années de suite et ses romans figurent aux palmarès des meilleures ventes. Comme plusieurs de ses personnages, elle habite les Cantons-de-l'Est. source


Je vous ai parlé de Louise Penny, cette écrivaine canadienne que j’ai rencontrée aux Quais des Polars lors d’une rencontre au musée des Beaux-Arts de Lyon autour d’une oeuvre de Géricault : La monomanie de l’envie ou la Hyène de la Salpetrière. (Billet ICI)
Je m’étais demandé comment son roman Défense de Tuer paru aux éditions Actes Sud noirs, était rattaché au thème de la folie et de la différence illustré par le tableau de Géricault.

Le récit


 Défense de Tuer est une enquête d’Armand Gamache, inspecteur-chef de la sûreté du Québec, la suite d’une longue série que Louise Penny a consacré à ce personnage. C’est la première fois que je le rencontrais.
 Armand Gamache et son épouse  Reine-Marie vont fêter la trente cinquième année de l’anniversaire de leur mariage au manoir de Bellechasse, luxueux hôtel dans les Cantons de l’Est au Québec. Cette ancienne demeure en rondins, au toit de cuivre, bâtie près du lac de  Massawipi par des bûcherons au XIX siècle, est un havre de paix et de repos! Tout au moins tant qu’elle n’est pas envahie par une riche  famille, les Morrow, dont les membres semblent tous un peu « cinglés » et ne paraissent pas unis par une affection indéfectible!  Ils viennent rendre hommage à leur père décédé en érigeant une statue dans le parc de la maison. Mais par un soir d’orage la statue écrase une des femmes Morrow. Gamache s’aperçoit bien vite qu’il ne s’agit pas d’un accident ! Finies les vacances et la tranquillité, il doit se charger de l’enquête! Et entre les membres de la famille et du personnel, les suspects sont nombreux!

Une étude psychologique

Voilà qui me change des thrillers, ici pas meurtres horribles et alambiqués, pas de surenchère dans l’horreur. L’intérêt est ailleurs. Il est dans ce huis-clos qui permet l’observation de chaque membre de la famille Morrow, les Gamache étant aux premières loges pour être spectateurs, parfois sans trop comprendre, des drames qui se jouent devant eux. Louise Penny excelle dans la description psychologique. Elle dissèque les rapports d’amour et de haine, d’attrait et de répulsion qui lient la mère Mrs Finney, ex-madame Morrow, remariée à Bert Finney, à ses filles Marianna et Julia, à ses fils Thomas et Peter, à leurs épouses respectives Sandra et Clara et à son petit fils Bean.  Tous sont incapables de couper les liens qui les unissent entre eux, d’acquérir leur indépendance, mais lorsqu’ils sont ensemble ils ne cessent de se torturer. L’écrivaine fait apparaître les non-dits, les sous-entendus. Ce qui apparaît parfois, aux yeux du spectateur, comme une plaisanterie entre frères et soeurs se révèle être une manière d’attiser des plaies jamais refermées. La souffrance, la jalousie, l’envie engendrent des comportements exacerbés et irrationnels pouvant aller, qui sait? jusqu'au crime!. Et voilà le rapport avec l'oeuvre de Géricault!

Une surprise

Armand Gamache est inspecteur de police mais ce n’est pas pour cela qu’il est alcoolique, instable, colérique, grossier, de mauvaise humeur! Et cela est une surprise car Louise Penny semble prendre le contre-pied des personnages habituels de la littérature policière! Je le trouve presque trop gentil ce Gamache : attentionné  envers sa femme et toujours amoureux d’elle, il est un chef respecté, il est à l’écoute de tous y compris de ses subordonnées. D’humeur égale et respectueux des victimes et des familles, il n’autorise pas de plaisanteries douteuses sur les lieux du crime. ll est aussi celui qui comprend les rêves de Bean, le petit garçon que tous s’accordent à juger « étrange » et que sa mère a affublé d’un nom de légumineuse! Presque trop beau, cet inspecteur! Ses faiblesses semblent résider dans ses rapports avec son fils et avec son père disparu.

Une intrigue à la Agatha Christie

Pas étonnant que Louise Penny ait remporté plusieurs fois le prix Agatha! Comme dans certains romans de la romancière anglaise nous sommes, on l'a vu, dans un milieu fermé et chaque protagoniste de l’action peut être coupable. Nous sommes donc amenés à soupçonner tout à tour l’un ou l’autre. A la fin, une grande réunion menée par l’inspecteur permet d’y voir plus clair et de découvrir la vérité :  un procédé coutumier à Agatha!

Mais le dénouement de l’intrigue, ce n’est pas ce que j’ai préféré dans le roman, la subtilité des rapports familiaux étant de beaucoup les plus fascinants! Ce roman m’a donné envie d’aller plus loin dans la découverte de Louise Penny.

mercredi 4 février 2015

Gilles Vigneault : Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Paysage de neige source


Depuis qu'il y a eu 1cm de neige en Provence, je ne me sens plus! De là à rivaliser avec les Québécois!

Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver... de Gilles Vigneault

Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon jardin ce n´est pas un jardin, c´est la plaine
Mon chemin ce n´est pas un chemin, c´est la neige
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m´en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d´amis sera telle
Qu´on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d´elle


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon refrain ce n´est pas un refrain, c´est rafale
Ma maison ce n´est pas ma maison, c´est froidure
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c´est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l´horizon
Et les humains sont de ma race


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver
Mon jardin ce n´est pas un jardin, c´est la plaine
Mon chemin ce n´est pas un chemin, c´est la neige
Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´hiver


Mon pays ce n´est pas un pays, c´est l´envers
D´un pays qui n´était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n´est pas une chanson, c´est ma vie
C´est pour toi que je veux posséder mes hivers






dimanche 30 novembre 2014

Graig Davidson et Jacques Audiard : De rouille et d'os


recueil de nouvelles de Graig Davidson de rouille et d'os aux éditions Albin Michel collection Points
Recueil de nouvelles De rouille et d'os

De rouille et d'os ou Un goût de rouille et d'os est un recueil de nouvelles de Graig Davidson, écrivain canadien. C'est le deuxième livre que je lis de lui et j'y retrouve le milieu de la boxe et, plus encore, de la boxe pratiquée hors des règles, combats où tous les coups sont permis et où les spectateurs parient sur la violence et le sang versé. A l'origine un sujet qui me rebute plutôt et il faut tout le talent de Graig Davidson pour que je parvienne à m'y intéresser et même à me passionner; il y a, en effet, un telle force dans le récit que celui-ci me laisse haletante avec l'impossibilité de m'en détacher comme dans Cataract City dont j'ai parlé récemment dans mon blog. Et puis, finalement, quels que soient le milieu et le sujet, c'est toujours de l'être humain qu'il s'agit et les thèmes développés par Graig Davidson avec une authenticité pleine d'émotion sont universels : la pauvreté qui va de pair avec la violence, la souffrance, la solitude, le sentiment de culpabilité, le désir rédemption….


Les deux nouvelles

Graig Davidson
Le scénario du film d'Audiard De rouille et d'os est  réalisé à partir de deux nouvelles du recueil. La première Un goût de rouille et d'os donne son titre au livre et au film. Le titre fait allusion au goût du sang que le boxeur a dans la bouche quand il reçoit des  coups.

Un goût de rouille et d'os 

Elle conte l'histoire d'Eddie, un boxeur américain issu d'un milieu modeste. Il s'installe chez sa soeur Gail et le mari de celle-ci, Steve, pour poursuivre ses études tout en boxant pour gagner sa vie. Un jour où il a la garde de son petite neveu Jake, il l'amène jouer sur un lac gelé. La surface se fend, l'enfant tombe à l'eau et disparaît sous l'épaisseur de la glace. Eddie casse la glace avec ses poings, ce qui lui brise les os de la main. L'enfant est sauvé mais tombe dans un coma profond dont il ne reviendra pas. Désormais, Eddie ne pourra plus boxer que dans des combats clandestins mais cette déchéance et la souffrance de ses os que se brisent à nouveau à chaque combat sont une sorte d'expiation à ce sentiment de culpabilité qui ne peut jamais le quitter.

La fusée

La seconde nouvelle est intitulée La fusée. Le personnage est un jeune homme qui présente un tour d'acrobatie réalisé avec une orque dans un Marineland : il est entraîné sous l'eau par le cétacé puis projeté en l'air "comme une fusée". … jusqu'à l'accident, la jambe arrachée. Un texte sur le désespoir allant jusqu'au nihilisme. Là encore le personnage semble payer pour son insensibilité, sa cruauté envers les femmes, son mépris pour les sentiments des autres. Il n'y a pas de rédemption possible.

Le film de Jacques Audiard

 film de Jacques Audiard De rouille et d'os avec Marion Cotillard et Mathias Schoenaerts
Affiche du film de Rouille et d'os

Le film de Jacques Audiard reprend donc ces deux textes mais en les liant entre eux. Le boxeur de la première nouvelle rencontre le second personnage mais celle-ci est devenue une jeune femme (Marion Cotillard) mutilée par l'orque. Peu à peu des sentiments vont naître entre le jeune homme assez primaire, père d'un enfant (celui qui disparaîtra sous la glace), et la jeune femme sans jambes. Peut-être parce qu'il est proche de la nature, et qu'il considère le sexe comme un besoin physique, élémentaire, il fera l'amour avec elle sans éprouver d'état d'âme. Celle-ci retrouvera le goût de vivre : je pense à cette  très belle scène où il l'amène se baigner et où elle retrouve le plaisir d'avoir un corps au contact de l'eau qui est son élément.

Comparaison entre le film et les nouvelles

Film de jacques Audiard De rouille et d'os avec mathias SChenaerts dans le rôle du boxeur
De rouille et d'os Mathias Schoenaerts

Dans le texte écrit, le personnage du boxeur est issu d'un milieu modeste,  son père est garde-barrière à la frontière entre le Texas et le Mexique. sa mère est mexicaine. Les adversaires du jeune homme qui l'affrontent dans ces combats clandestins sont parfois des gens désespérés, des mexicains eux aussi, qui n'ont que ce moyen pour nourrir leur famille. La soeur et le beau-frère ont du mal à joindre les deux bouts et auront besoin de l'argent que gagne le boxeur pour s'occuper des soins médicaux de leur fils inconscient. Audiard a transposé le récit, et ceci avec beaucoup de finesse, dans la France contemporaine et dans des milieux tout aussi modestes.
Mais ce qui différencie le roman et le film c'est moins les changements dans les faits et les personnages que dans la philosophie et la conception des rapports humains. Le film d'Audiard montre deux personnages solitaires, l'une rendue ainsi par son handicap, l'autre par son milieu, son apprentissage de la violence, son mode de vie. Mais le film reste optimiste puisque ces deux êtres malmenés par la vie vont unir leur différence pour construire quelque chose. D'ailleurs, l'enfant est sauvé à la fin. Un très beau film qui a un peu choqué la bourgeoisie bien pensante. Il n'a obtenu aucun prix en France mais a été couronné, par contre, d'une quinzaine de prix internationaux.
Les  deux nouvelles de Graig Davidson sont au contraire excessivement pessimistes, il n'y a pas d'alternative au désespoir,  à la souffrance. L'homme est enfermé dans sa solitude et sa culpabilité.

Film de jacques Audiard d'après le roman de Graig Davidson Marion Cotillard
De rouille et d'os Marion Cottillard



 Enigme 103

Félicitations à : Aifelle,  Eeguab, Dasola, Kathel, Soie ... un peu moins de réussites cette fois-ci car les deux oeuvres sont moins connues  merci à tou(te)s les participant(e)s.

La réponse est : 
Deux nouvelles : Un goût de rouille et d'os et Fusée de Graig Davidson
le film : De rouille et d'os de Jacques Audiard