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samedi 13 octobre 2018

Honoré de Balzac : La Bourse


La Bourse, courte nouvelle d’Honoré de Balzac, paraît en 1832 dans les Scènes de la vie privée de La Comédie Humaine.
L’intrigue est mince et conte une histoire d’amour entre un jeune peintre naïf et sensible, Hippolyte Schinner, et une belle jeune fille Adélaïde dont on ignore si elle est aussi pure qu’elle le paraît. Adélaïde et sa mère, la baronne Leseigneur de Rouville, sont dans la gêne depuis la mort du père de la jeune fille. De quoi peuvent-elles bien vivre ? Ces dames reçoivent deux messieurs qui viennent jouer chez elles chaque soir, visites qui troublent le jeune homme. Lorsque sa bourse disparaît dans leur appartement, Hippolyte en vient à les soupçonner. Il est désespéré. Mais je ne vous en dis pas plus !

La Bourse est considérée comme une oeuvre secondaire de La comédie humaine et le récit paraîtrait bien léger si… s’il n’était écrit par Balzac !  Comme d’habitude, il y a, en effet, dans ces quelques pages une densité de thèmes et de descriptions qui leur donnent de l’intérêt et de la force.


Pierre Guérin : La pose de la compagne de Didon est celle d'Adélaïde dans La Bourse

Le thème de l’art revient  souvent dans la comédie humaine à travers de nombreux artistes. Ici, le peintre, Hippolyte dont le talent est reconnu, ses amis le sculpteur François Souchet, Joseph Bridau, prix de Rome, Bixiou, caricaturiste, tous personnages récurrents de l’oeuvre. Le début de la nouvelle  se révèle comme une réflexion sur l’illusion dans l’art, vérité ou mensonge, réalité ou apparence ? Je cite ce passage un peu longuement  pour le partager avec vous tant il est bien écrit et invite à la réflexion :

Il est pour les âmes faciles à s’épanouir une heure délicieuse qui survient au moment où la nuit n’est pas encore et où le jour n’est plus. La lueur crépusculaire jette alors ses teintes molles ou ses reflets bizarres sur tous les objets, et favorise une rêverie qui se marie vaguement aux jeux de la lumière et de l’ombre. Le silence qui règne presque toujours en cet instant le rend plus particulièrement cher aux artistes qui se recueillent, se mettent à quelques pas de leurs œuvres auxquelles ils ne peuvent plus travailler, et ils les jugent en s’enivrant du sujet dont le sens intime éclate alors aux yeux intérieurs du génie. Celui qui n’est pas demeuré pensif près d’un ami, pendant ce moment de songes poétiques, en comprendra difficilement les indicibles bénéfices. À la faveur du clair-obscur, les ruses matérielles employées par l’art pour faire croire à des réalités disparaissent entièrement. S’il s’agit d’un tableau, les personnages qu’il représente semblent et parler et marcher : l’ombre devient ombre, le jour est jour, la chair est vivante, les yeux remuent, le sang coule dans les veines, et les étoffes chatoient. L’imagination aide au naturel de chaque détail et ne voit plus que les beautés de l’œuvre. À cette heure, l’illusion règne despotiquement : peut-être se lève-t-elle avec la nuit ? l’illusion n’est-elle pas pour la pensée une espèce de nuit que nous meublons de songes ?

Un autre thème est celui des femmes pour lesquelles Balzac montrent beaucoup de largesse d’esprit, lui qui est si macho par ailleurs. Ainsi, non seulement il ne considère pas avec mépris Madame Schinner, la mère d’Hippolyte, qui a eu un fils en dehors du mariage mais encore montre-t-il sa désapprobation envers l’homme qui l’a abandonnée. De plus, il la peint comme une femme admirable qui a élevé son fils toute seule, dans la dignité.  De même, il peint la situation de la veuve et de sa fille avec beaucoup de compréhension pour leur misère.
Si la baronne n’a eu droit à aucune pension alors que son mari est mort dans une bataille pour sauver son pays, c’est que ce dernier était sous les ordres de Napoléon et n’est donc pas reconnu par la noblesse de La Restauration. Balzac qui a pourtant des idées monarchiques critique ce gouvernement qui laisse dans la misère ceux qui ont combattu pendant qu’ils étaient eux-mêmes en exil .
Et puis autre thème, bien sûr, celui du premier amour qui naît chez un garçon neuf, un éveil des sentiments puissants et dont l’impression ne s’effacera jamais. Balzac peint avec beaucoup de finesse et de justesse (et parfois d’humour) les étapes de ce sentiment qui s’affirme, d’abord inconscient de lui-même et puis qui se construit sur la confiance, dans le partage et l’émerveillement : 

« Le coeur a la singulière puissance de donner un prix extraordinaire à des riens. »

Balzac décrit ensuite les ravages que crée la trahison chez un être jeune et sincère..

« Les sentiments ne sont-ils pas la partie la plus brillante de notre vie ? De cette mort partielle viennent, chez certaines organisations délicates ou fortes, les grands ravages produits par les désenchantements, par les espérances et les passions trompées. Il en fut ainsi du jeune peintre. »

Balzac excelle aussi dans les portraits, ceux des visiteurs des deux dames, le comte de Kergarouët et le Chevalier du Halga,  par exemple. Vieillards figés à tout jamais dans leurs convictions et leur habillement d’un autre âge, vieux émigrés royalistes, ils sont les fantômes d’un autre temps, incarnation d’un passé révolu, ils refusent d’évoluer. Le portrait tourne vite à la caricature :

« Le personnage qui paraissait être le plus neuf de ces deux débris s’avança galamment vers la baronne de Rouville, lui baisa la main, et s’assit auprès d’elle ».

Mais ce qui me paraît le plus subtil dans La Bourse ce sont les portraits d’Adélaïde et sa mère et la description  de leur logement. Nous les découvrons à travers l’oeil exercé d’Hippolyte, qui, en bon peintre, est observateur, a le don de voir le détail, les contrastes, les formes, les couleurs, c’est pourquoi la vision qu’il a de l’appartement  est  d’une redoutable précision et peint une misère cachée mais flagrante.

« Pour un observateur, il y avait je ne sais quoi de désolant dans le spectacle de cette misère fardée comme une vieille femme qui veut faire mentir son visage. »

Il note cependant de bizarres distorsions entre la pauvreté de l’ensemble et certains objets ou meubles de valeur. Pendant la visite, le ressenti d’Hippolyte plein de compassion et de tact envers ses voisines est sans cesse perturbée par une voix insidieuse, celle du narrateur expérimenté, qui commente. Et comme pour Balzac - c’est une constante de ces romans - l’appartement et la personnalité de son occupant se confondent dans une interférence des deux images, le doute s’installe  :

« Il en était du visage de cette vieille dame comme de l’appartement qu’elle habitait : il semblait aussi difficile de savoir si cette misère couvrait des vices ou une haute probité, que de reconnaître si la mère d’Adélaïde était une ancienne coquette habituée à tout peser, à tout calculer, à tout vendre, ou une femme aimante, pleine de noblesse et d’aimables qualités. Mais à l’âge de Schinner, le premier mouvement du coeur est de croire le bien. »

« Est de croire le bien » oui ! mais le poison est ainsi instillé peu à peu et chez le lecteur et dans l’âme du jeune homme.

On le voit cette « petite » nouvelle contient bien des trésors cachés sous une apparence de bleuette. C’est pourquoi je vous invite à aller lire La Bourse !


PROCHAINES LECTURES COMMUNES AVEC MAGGIE  SUR LES NOUVELLES DE BALZAC : 

Qui vient nous rejoindre ?

LE 10 NOVEMBRE : L'AUBERGE ROUGE

samedi 11 juin 2011

George Sand : Marianne

Marianne est un délicieux petit roman de George Sand écrit à Nohant en Mai 1875 près d'un an avant sa mort. Délicieux parce qu'elle y conte une histoire d'amour où l'amoureux est si aveugle sur ses propres sentiments envers  la jeune femme qu'il aime, que cela donne lieu à des situations piquantes, des joutes verbales au cours desquelles le lecteur lucide s'amuse de ce personnage sans douter un seul instant de l'issue possible.
De quoi s'agit-il ? Pierre André se retire à la campagne auprès de sa mère à l'âge de quarante ans. Intelligent, érudit, à la fois scientifique et poète, il a échoué dans sa carrière faute de savoir se mettre en avant, souffrant d'une excessive timidité liée à un manque de confiance en lui. Sa voisine qui est aussi sa filleule, Marianne Chevreuse, 25 ans, pourvue d'une fortune confortable qui la rend indépendante, vit seule depuis la mort de ses parents. Elle a refusé jusque-là toutes les demandes en mariage. Mais depuis le retour de Pierre, un froid s'est glissé dans leur relation sans que celui-ci puisse en comprendre la cause. Lui-même a renoncé à la vie, trop pauvre pour songer à se marier, trop vieux pour aimer. Mais quand un ami lui demande d'arranger un mariage avec Marianne pour son fils Phillipe, pourquoi Pierre est-il si contrarié?Pourquoi la jeune fille accepte-t-elle de rencontrer ce prétendant? Pourquoi trouve-t-il Philippe si déplaisant? Pourquoi en veut-il à Marianne de sa coquetterie envers le jeune homme? Il faudra que Marianne y mette du sien aidée par la mère de Pierre pour qu'il finisse par comprendre!
Une bluette, ce roman? Et bien non! Certes, ce n'est pas l'oeuvre capitale de George Sand mais l'on y trouve tous les grands thèmes développés par elle au cours de sa création littéraire alliée à une finesse de ton, à l'art du non-dit, à une analyse psychologique tout en demi-teinte qui ne manque pas d'humour. J'ai eu en le lisant une pensée pour la Sylvia de Marivaux du Jeu de l'amour et du hasard et de son : "Ah! j'y vois clair dans mon coeur". Et ceci d'autant plus que Sand place dans la bouche de son héroïne à peu près les mêmes mots  : Enfin! se dit Marianne en reprenant au pas le chemin de sa demeure, il me semble que je vois clair à présent; j'ai bien cru qu'il ne m'aimerait jamais!" Mais ce n'est pas dans son coeur que la lucide Marianne décèle la vérité, c'est dans celui de Pierre.
Le thème récurrent dans tous ses romans est bien sûr celui de la femme et du mariage. Marianne est une jeune fille indépendante, fière, qui entend rester maîtresse d'elle-même et tenir sa destinée en main. Elle exerce son droit de décision quant à son mariage qu'elle veut fonder sur l'amour et non sur des considérations marchandes. On voit que ce thème est constant chez George Sand (Indiana, Consuelo...) elle-même mal mariée, séparée de son mari, est partisane de l'égalité dans le mariage, du rétablissement du divorce.
La nature tient aussi un grand rôle dans le roman et est le lien entre Marianne et Pierre. Tous les deux se retrouvent dans cet amour qui est aussi une disposition naturelle de l'esprit à goûter la solitude et la beauté loin de la foule et des ambitions humaines. Tous les deux  savent "voir" la nature, ce qui est un don précieux. Cette idée se concrétise dans les paroles que Pierre adresse à Philippe qui est peintre : Marianne dit que l'on ne doit pas aller de l'atelier à la campagne, mais aller de la campagne à l'atelier, c'est à dire que l'on n'apprend pas à voir parce qu'on est peintre mais que l'on apprend à être peintre parce que l'on sait voir. Voilà une belle définition de l'Art de la part de George Sand!
Enfin comme toujours dans les romans de George Sand et bien que ce soit ici plus rapide des notations sur la vie et les moeurs paysannes au XIXème siècle, la description précise des cours de fermes mais aussi des intérieurs donnent un intérêt et un pittoresque certains au roman.

Challenge George Sand initié par George Sand